Leo Nucci (Francesco Foscari), Guanqun Yu (Lucrezia Contarini), Bernadett Fodor (Pisana), Ivan Magrì (Jacopo Foscari), István Horváth (Barbarigo), Miklós Sebestyén (Jacopo Loredano), Chœur et Orchestre de la Radio bavaroise, dir. Ivan Repušić (live concert, 2018).
BR-Klassik 900328. Notice et synopsis en all. et angl. Distr. Harmonia Mundi.


Voici une version des Foscari sinon sans défaut, du moins chargée de qualités qui peuvent toucher au cœur, d’autant que le direct du concert avive la vérité des accents de chacun et offre des moments d’expression tout à fait intenses.

Défauts et qualités sont indissociablement mêlés chez le Doge de Leo Nucci. Il reste indiscutable dans sa maîtrise de l’idiome verdien, parvenu à la plus profonde intériorité dans l’art de faire vibrer tout à la fois la douleur du père et les abîmes du pouvoir dans un chant aux éclats fervents mâtinés de dignité éperdue. Indiscutable dans l’esprit, mais discutable désormais sur la forme, car le vibrato par trop instable et les attaques très en-dessous nous détournent souvent de l’émotion et du personnage pour mettre en avant les limites d’un instrument dont la gloire a passé, sans rien ôter pourtant à l’admiration que l’on portera à cet artiste, tant rétrospectivement pour « services rendus à Verdi » que pour le portrait qu’il parvient à construire ici. Reste que ce n’est là ni un Doge idéal vocalement, ni le meilleur que Nucci nous laisse, lui qui chantait le rôle à La Scala en 1979 déjà (!) et qui est documenté en vidéo par deux fois (Naples 2000, DVD ArtHaus Musik ; Parme 2009, DVD C Major).

Le contraste est presque dramaturgique avec le Jacopo insolent de moyens d’Ivan Magrì : voici un fils Foscari qui va mourir en pleine possession d’un timbre latin et solaire à l’exact équilibre entre slancio crâne (et un rien ouvert) et désinence mélancolique, panache au vent et art des nuances, souplesse de la ligne et mordant de l’intention. En comparaison, sa Lucrezia est certes riche d’un timbre vibrant et intense, d’un chant investi (et dont la puissance convient bien à ce rôle de jeune femme consciente de sa haute lignée), mais avec des intentions un peu univoques, un haut-médium virant à l’aigre et des limites de souplesse et de vocalisation. Le reste du plateau est de très belle eau, les chœurs de la Radio bavaroise sont somptueux d’impact et de clarté d’élocution dans leurs interventions, et Ivan Repušić conduit l’orchestre et la soirée avec un talent réel pour faire avancer le drame. Si aimer, c’est aimer jusqu’aux défauts, alors voici une version qu’on aime bien !

Chantal Cazaux