Christiane Boesiger (Riza von Marbach), Grga Peroš (lieutenant von Lörenthy), Harald Pfeiffer (Lohonnay), Marie Seidler (Treszka), Tomi Wendt (Wallerstein), Clemens Kerschbaumer (Marosi), Rainer Hustedt (Kurt), Rainer Domke (Bence). Chœur du Stadttheater de Giessen et Orchestre philharmonique de Giessen, dir. Michael Hofstetter (2018).
Oehms Classics OC 977. Présentation et synopsis en allemand et en anglais. Distr. Outhere.

Emmerich Kálmán fait partie de ces rares compositeurs dont le coup d'essai leur assura la gloire. En 1908, à l'âge de 26 ans, cet ancien élève de Bartók et de Kodály remportait en effet un immense succès à Budapest avec Tatárjárás (Invasion tatare), sa toute première opérette. Traduit en allemand sous le titre Ein Herbstmanöver (Manœuvres d'automne), l'ouvrage triomphait dès l'année suivante au Theater an der Wien, avec notamment le grand acteur et chanteur comique Max Pallenberg (1877-1934). Puis ce furent bientôt Broadway et Londres qui emboîtèrent le pas avec The Gay Hussars (1909) et Autumn Maneuvers (1912). Si la version anglaise (dans une nouvelle traduction de Steven Daigle) a été enregistrée en 2002 par le Ohio Light Opera, il semble bien que ce disque-ci – réalisé dans la foulée d'une série de représentations données à Giessen en 2017 et 2018 – constitue la première intégrale en langue allemande. Pour laisser presque toute la place à la musique de Kálmán, on n'a conservé que de très brefs dialogues entre les différents numéros de la partition.

À ceux que la photo de la pochette pourrait rendre perplexes, précisons qu'elle ne reflète guère l'atmosphère générale de l'œuvre et risque de desservir un enregistrement fort attachant. Car ce que l'on retient d'abord ici, ce ne sont pas tant les frasques du sergent Wallerstein, devenu manifestement gay dans cette mise en scène, que la profonde nostalgie de deux amoureux (la baronne Riza et le lieutenant Lörenthy) qui se retrouvent après une longue séparation. Dès l'ouverture, les rythmes militaires nous prennent certes d'assaut de la manière la plus percutante, mais ils alternent constamment avec l'expression d'une tendresse et d'une sensibilité à fleur de peau. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter le chant d'une délicatesse infinie de Lörenthy (« Seh' ich dich strahlen »), repris dans le magnifique duo avec Riza à la fin du premier acte. À défaut de réunir une distribution prestigieuse, cet album fait entendre des artistes qui, conscients de leurs limites, ne forcent jamais leur instrument et savent au contraire composer avec leurs relatives faiblesses. Ainsi en est-il du baryton Grga Peroš qui, en plus de donner des pianissimi de rêve, offre un portrait extrêmement touchant du lieutenant habité par le spleen. Christiane Boesiger est tout autant convaincante dans son rôle de Riza, richissime veuve n'ayant jamais oublié son amour de jeunesse. Du reste de la distribution, on remarque surtout les fringants militaires Marosi et Wallerstein de Clemens Kerschbaumer et Tomi Wendt. Sous la direction de Michael Hofstetter, les Chœurs et l'Orchestre philharmonique du Stadttheater de Giessen se hissent à un niveau remarquable, justifiant amplement cette heureuse résurrection.


Louis Bilodeau