Valer Sabadus (Giasone), Kristina Hammarström (Medea), Kristina Mkhitaryan (Isifile), Willard White (Give / Oreste), Günes Gürle (Besso), Raúl Giménez (Egeo), Alexander Milev (Ercole), Dominique Visse (Delfa / Eolo), Migran Agadzhanyan (Demo / Volano), Mariana Flores (Alinda), Mary Feminear (Amore), Seraina Perrenoud (Sole), Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón, mise en scène : Serena Sinigaglia (Genève, février 2017).
Alpha EV 1857 (1 DVD). Distr. Outhere.


Seconde captation pour Giasone, chef-d’œuvre du théâtre de Cavalli, neuf années après l’audacieuse proposition de Mariame Clément pour l’Opéra des Flandres où cabotinait un inoubliable Christophe Dumaux. Le film qu’Isabelle Soulard a tiré du spectacle proposé par le Grand Théâtre de Genève dans le cadre de l’Opéra des Nations allait-il renouveler l’émotion suscitée par l’Elena que Leonardo García Alarcón et sa Cappella Mediterranea avait révélée à un public aixois conquis ? 

Serena Sinigaglia frappe fort. Si le Giasone de Christophe Dumaux, beau gosse sans profondeur, séduisait encore, celui de Valer Sabadus, malgré sa voix admirable et son chant précieux, n’est plus qu’un simple objet sexuel, une utilité dans un monde où les femmes règnent, héroïques ou meurtrières. Et si Cavalli avait d’abord pensé son opéra du côté du beau sexe ? Plus encore que Medea, c’est Isifile qui aura raison du héros : penaud, il retournera à ses côtés puisque Medea aura ourdi son assassinat. Pauvre Giasone aveugle, abusé, perdu. 

La beauté vocale déployée par Kristina Mkhitaryan égale la noblesse de sa constance amoureuse, l’ardeur de sa volonté, la justesse de son sentiment ; c’est d’abord elle qui s’impose avec son Isifile dans ce spectacle habile où tout semble allégé, fusant, non seulement les scènes cocasses mais aussi le drame lui-même, qui s’échappe vers des élégies troublantes.

Sinigaglia s’autorise quelques libertés d’ailleurs permises par la tradition satirique de l’opéra vénitien : Giasone ne semble pas insensible au corps bodybuildé d’Ercole, voilà de quoi faire jaser ! Son spectacle risquerait le fourre-tout, entre les nuages à la Tiepolo, les cieux torelliens, Isifile en amazone coloniale et le soleil dans son aveuglante cuirasse, mais c’est la justesse de l’équilibre entre le buffo et le drame, les divers registres allant du comique à l’élégiaque, qui font passer les trois heures de l’opéra comme en rêve. 

Bravo aux buffos, évidemment Dominique Visse, inusable, qui trouve un alter ego dans le Demo de Migran Agadzhanyan, bravo à Raúl Giménez, Egeo amer, mordant, bravo à Willard White, Giove parfait, même si l’autre héroïne de la soirée reste la rivale finalement malheureuse d’Isifile : Kristina Hammarström, dont la voix profonde refuse à Medea les excès et la violence pour lui donner une dimension tragique jusque dans ses incantations et même dans les délices de l’amour.

Sur ce théâtre étourdissant, Leonardo García Alarcón en fait danser un autre : son orchestre d’épices, vif comme Mercure, impertinent ou rêveur, un personnage à part entière.

Jean-Charles Hoffelé