Matthias Goerne (Wozzeck), Asmik Grigorian (Marie), Gerhard Siegel (le Capitaine), Jens Larsen (le Docteur), John Daszak (le Tambour-major). Orchestre Philharmonique de Vienne, dir. Vladimir Jurowski. Mise en scène : William Kentridge (2017).
Unitel / Harmonia Mundi HMD 9809053.54 (1 DVD + 1 Blu-Ray). Distr. Harmonia Mundi.


Matthias Goerne et le plasticien sud-africain William Kentridge ont scellé leur entente artistique et humaine en donnant un peu partout le Voyage d’hiver de Schubert, sur fond de projections nous plongeant dans l’univers de Kentridge. Au piano, Markus Hinterhäuser. Lorsque ce dernier fut nommé directeur du Festival de Salzbourg, il était logique qu’il cherche à rapprocher à nouveau ses deux complices, cette fois autour d’un opéra en version scénique. En résulta ce Wozzeck aujourd’hui publié. Malheureusement, c’est une déception car on assiste davantage à une installation de Kentridge qu’à une mise en scène proprement dite de la pièce. L’artiste ne fait pas mystère que la psychologie ne l’intéresse pas. Il ne raconte pas une histoire mais crée des associations visuelles, en l’occurrence avec la Première Guerre Mondiale. Dans un dédale de passerelles en bois labyrinthiques sont projetées des images, typiques de son art de l’animation, créant une atmosphère cauchemardesque certes prenante, mais qui détourne totalement l’attention des personnages et de leur caractérisation. Et voici Matthias Goerne réduit à l’état de marionnette, à peine visible, empêché de développer tout talent d’acteur. Et si le chanteur reste fabuleux, cette entrave n’a pas été sans répercussion sur le déploiement d’une voix ici assourdie. Les rôles bouffes ne pouvant non plus compter sur leur présence et leurs trognes pour briller, on n’en remarque que plus des voix aux moyens limités.

On sauvera donc l’étonnante Marie d’Asmik Grigorian, dont la voix prend feu à tout moment : l’année suivante, elle serait une Salomé inoubliable. Et l’on retiendra aussi l’impressionnante direction analytique de Vladimir Jurowski. À la tête du Philharmonique de Vienne, il pratique une extraordinaire radiographie de la partition de Berg, l’éloignant de tout romantisme pour en faire ressortir la modernité grâce à un tranchant et à une clarté qui mettent à nu la construction si savante de cette musique géniale. Mais si c’était pour écouter l’orchestre, on n’avait pas besoin d’un DVD.

Christian Merlin