José Cura (Otello), Dorothea Röschmann (Desdemona), Carlos Álvarez (Iago), Benjamin Bernheim (Cassio), Christa Mayer (Emilia), Georg Zeppenfeld (Lodovico), Bror Magnus Todenes (Roderigo), Csaba Szegedi (Montano), Staatskapelle Dresden, dir. Christian Thielemann, mise en scène : Vincent Boussard (Salzbourg, 16-27 mars 2016).

DVD Cmajor/Unitel 740008. Notice et synopsis trilingues dont français. Distr. Harmonia Mundi.

Production de prestige pour festival de prestige (celui de Pâques à Salzbourg), et pourtant l'alchimie ne prend pas, ou trop fugacement. La faute en premier lieu à un Otello aux limites audibles : José Cura (Johan Botha, initialement prévu, dut renoncer en janvier 2016 pour raisons de santé) a certes le timbre de bronze qu'on peut rêver à Otello - son rôle fétiche depuis près de vingt ans -, la projection mâle tout comme le tempérament bouillonnant et torturé, mais hélas expose dès l'« Esultate » initial le temps qui a passé sur ses moyens vocaux - les aigus hululent un vibrato impossible, et trop souvent par la suite la voix perdra ainsi sa prestance, déséquilibrée entre vaillance et fêlures. Terriblement dommage, car on sent combien sa longue fréquentation du personnage lui en a rendu les méandres familiers, d'une intériorisation puissamment expressive. Sa Desdemona est une Dorothea Röschmann inattendue, grande mozartienne parfois pas totalement idiomatique dans la ligne verdienne mais pourtant d'une très belle tenue, expressive et charnelle. C'est avant tout Iago qui emporte la mise : Carlos Álvarez y est à son meilleur, jeu complexe qui ne cède jamais à la facilité, voix mordante mais qui sait les opacités, timbre plein mais pas lâché, qui est en soi menace rentrée et indéchiffrable. Notons aussi un Cassio de toute beauté vocale, rayonnant et souple, lumineuse victime inconsciente - un Benjamin Bernheim qui magnifie chacune de ses interventions. En fosse, Thielemann délivre un Otello analytique où tout est miraculeusement détaillé et exécuté (somptueuse Staatskapelle de Dresde, et chœurs idoines), des transparences aux étagements, des équilibres aux mixtures de timbres... mais le drame ne prend pas - pire : reste souvent froid, sans urgence, à l'image des premiers accords de la Tempête qui semblent dosés chimiquement pour être merveilles sonores plutôt qu'ouragan terrifiant. La mise en scène, elle, déploie dans le Grosses Festspielhaus une élégance raffinée où le bon goût semble là aussi supplanter le drame : les décors de Vincent Lemaire, discrets et justes, jouent de voiles et d'ombres (belles lumières de Guido Levi) pour unifier en quelques évocations abstraites bateau, mouchoir et linceul ; les costumes de Christian Lacroix dosent subtilement histoire et atemporalité ; la direction d'acteurs de Vincent Boussard semble plus inspirée par Iago que par le couple tragique. Musicalement et théâtralement, c'est souvent fort beau - mais sage. Manque cet incendie intérieur qui fait les grands Otello - et un Otello qui puisse le sublimer plutôt que s'y consumer.