Janine Micheau (Madame Chrysanthème), Rapahël Romagnoni (Pierre), Lucien Lovano (Yves), Kangourou (René Lenoty), Denise Monteil (Oyouki), Solange Michel (Madame Prune), Agnès Disney (Madame Fraise), Jean Mollien (le Gabier). Chœur et Orchestre lyrique de la RTF, direction Jules Gressier (live 30 août 1956).

CD Malibran MR 664. Distr. Malibran.

On l'oublie souvent : avant Madame Butterfly, il y eut Madame Chrysanthème, le conte lyrique en quatre actes de Messager, que l'opéra de Puccini éclipsa totalement. Or comparaison n'est pas raison : nous entendons plutôt ici un opéra-comique qui s'achève, comme chez Loti, par le départ de Pierre sur son vaisseau. Mais le livret l'a fait moins cynique, même s'il abandonne la petite geisha sans beaucoup de scrupules : « Quittons-nous bons amis sans trop verser de larmes, mon séjour au Japon n'a pas manqué de charme, grâce à ton fin minois, souriant, parfumé. » Elle n'est pas non plus une poupée, lui faisant parvenir une lettre émouvante : « Au Japon aussi il y a des femmes qui aiment et qui pleurent. » Pour épicer la sauce, Georges Hartmann et André Alexandre ont également imaginé une scène de jalousie où Pierre reproche à la petite chanteuse « avec ses yeux bridés, son petit air d'ennui et sa ceinture mauve » de se produire de nouveau en public... et à Yves, son second, d'être trop souvent avec elle.

Autant dire que l'œuvre, à l'instar du roman de Loti, reproduit une certaine vision de l'Orient, celle de l'Occident colonial alors en pleine expansion, avec des Européens partagés entre la nostalgie du pays et l'attrait de l'exotisme - surtout sexuel. Mais elle ne manque ni de charme ni de raffinement, Messager ayant retenu la leçon de Lakmé comme celle, toutes proportions gardées évidemment, de Tristan dans le duo brûlant du quatrième acte. L'instrumentation se signale par un raffinement lui aussi « souriant et parfumé », qui n'est pas mièvrerie. L'alternance entre le comique caractéristique du genre (l'entremetteur Kangourou) et l'expression de sentiments profonds (chez Chrysanthème et Pierre) ou plus pudiques (chez les autres geishas) ne prend jamais Massenet au dépourvu. Créé en janvier 1893 au Théâtre de la Renaissance, le conte lyrique ne tint pourtant guère l'affiche, victime de l'écrasante proximité de Puccini mais aussi, sans doute, de la concurrence d'œuvres plus fortes ou plus novatrices. Si bien qu'on en a surtout retenu « Le jour sous le soleil béni », qu'une Mady Mesplé, une Barbara Hendricks, une Miah Persson, une Sonya Yoncheva ont inséré dans des récitals. On remerciera donc l'Opéra de Marseille d'avoir exhumé la partition au cours de sa dernière saison.

Ce CD, comme souvent chez Malibran, restitue une soirée lyrique de la Radio nationale, dirigée en 1956 par l'excellent Jules Gressier. La distribution réunit des représentants de l'école française d'alors : Chrysanthème un peu pointue mais délicieuse de Janine Micheau, Pierre d'une élégante solidité de Raphaël Romagnoni, Yves sensible de Lucien Lovano - qui baisse d'un ton sa grande scène du quatrième acte -, parfait Gabier de Jean Mollien, Kangourou très trial de René Lenoty, geishas à croquer de Denise Monteil, Solange Michel et Agnès Disney - à qui échoit « Colombe ! Colombelle ! Petit oiseau béni ! » alors qu'on l'attribue à Chrysanthème. A déplorer, une fois de plus dans ces soirées lyriques, les coupures : des scènes sont abrégées, d'autres disparaissent totalement - les Danses aussi, une grande partie de la fin, etc. Mais l'éditeur a aggravé ce charcutage en supprimant les introductions orchestrales des actes, que l'édition Cantus Classics avait conservées. Pour que tout tienne sur un seul CD ? Coups de ciseaux d'autant plus regrettables quand on a dit les qualités de l'orchestre de Messager - ainsi n'entendra-t-on pas les exquises sonorités cristallines du début du quatrième acte. Mieux vaut alors se référer, pour cette Madame Chrysanthème, à l'éditeur allemand... qui annonce fallacieusement une « Gesamtaufnahme » là où le français a l'honnêteté d'évoquer une « version abrégée ».

D.V.M.