Krassimira Stoyanova (la Maréchale), Sophie Koch (Octavian), Mojca Erdmann (Sophie), Günther Groissböck (Ochs), Adrian Eröd (Faninal), Silvana Dussmann (Leitmetzerin), Rudolf Schasching (Valzacchi), Wiebke Lehmkuhl (Anina), Stefan Pop (Un chanteur italien), Chœur de l'Orchestre de l'Opéra de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, dir. Franz Welser-Möst, mise en scène : Harry Kupfer (Salzbourg, août 2014).
DVD Cmajor 719308. Distr. Harmonia Mundi.

Entre deux mondes, le Rosenkavalier selon Harry Kupfer qui fut accueilli dans une confortable indifférence au dernier Festival de Salzbourg ? On n'est plus absolument dans la Vienne XVIIIe siècle d'Hofmannsthal - les gigantesques vidéos de Thomas Reimer nous reconduisent à celle de Richard Strauss, entre Prater et Kunsthistorischesmuseum, et feraient à elles seules un spectacle assez magique, d'un esthétisme soufflant. Mais la grammaire de Kupfer, si sensible à la musique de Strauss qui effectue elle aussi la synthèse entre un XVIIIe siècle fantasmé et une syntaxe musicale résolument XXe siècle - Franz Welser Möst dirige mordant, rappelant que le Rosenkavalier succéda à Elektra -, ajoute à ce qui ne pourrait être qu'un décor mis en abyme une direction d'acteur d'une subtilité inédite que la caméra indiscrète de Brian Large documente avec art.

Un des plus beaux Rosenkavalier que j'ai vus, un des plus justes aussi, pour le sentiment, le brio, la lecture des personnages. Mais pour l'émotion ? C'est ici que le bât blesse - à peine, tant l'art supplée. L'émotion, seule la Maréchale magistrale de Krassimira Stoyanova la distille dans chacune de ses phases - son monologue du I est d'anthologie, son art de la conversation, vif, plein d'apartés, de doubles-sens, d'une profondeur de tous les instants, avec dans la voix cette étoffe mittel-Europa et aussi cette façon d'être à la fois exacte dans les notes et très libre dans les inflexions qui rappellent Lotte Lehmann. Elle domine d'assez haut ses collègues : Sophie Koch est uniment brillante, qu'elle soit Octavian ou Mariandel, mais frémissante, jamais ; Mojca Erdman, petite voix verte, n'a que son physique et nous fait la plus oubliable des Sophie. Véritable métamorphose, Günter Groissböck a laissé son Hunding au vestiaire et campe un Ochs rajeuni, virtuose, pas barbon pour un sou. Les mots éclatent, la voix s'allège, son Baron est plus proche du sel plein d'esprit qu'y mettait Otto Edelmann que de la comédie-charge selon Ludwig Weber. Une scorie : le chanteur italien de Stefan Pop, singeant Pavarotti sans en avoir le dixième de la voix. Une merveille : Adrian Eröd sauvant Faninal de la caricature, en faisant un vrai personnage, profond, ambigu : l'acteur est souverain, le chanteur pas moins. Sur ce théâtre fastueux, réfugié un peu trop dans la comédie - le troisième acte donné sans coupure y est pour beaucoup -, les Wiener Philharmoniker, en état de grâce, mettent une poésie, un élan que Welser-Möst affûte. Décidément l'œuvre leur appartient.

J.-C.H.