« Qui trop embrasse mal étreint » pourrait s’appliquer au rapport des romantiques à la nature, tout particulièrement ceux qui l’ont instituée en objet de vénération, divinité transcendante dépositaire d’une essence incorruptible de l’être, pavant la voie à de funestes discours sur la vérité de la terre et de l’enracinement. Contre cette vision essentialiste et figée de la nature, il n’est pas de meilleur antidote que La Petite Renarde rusée, ode à une nature vivante, drôle, chicaneuse, éventuellement mesquine, où l’animal n’est pas si différent de l’homme (à moins que ce ne soit le contraire). Point de vérité absolue ou de leçon de morale mais un émerveillement grinçant et une sensibilité délicate.

L’Opéra propose une reprise de la production signée André Engel, même si le nom du metteur en scène est soigneusement occulté par le programme de salle (pour quelle raison ?) en faveur d’une formulation vaseuse, « l’Opéra assure la reprise de cette production », certes (comme souvent) mais pour rappel, le droit moral sur une œuvre est inaliénable… La mise en scène, assurée par Dagmar Pischel, soigne la caractérisation des animaux, grâce aux jolis et amusants costumes d’Elizabeth Neumuller, et aux mouvements qui empruntent des caractéristiques aux déplacements des bêtes (la grâce des biches, la démarche erratique des poules…) On retrouve ainsi le charme et le sourire de la partition dans la vision offerte par la scène.

En fosse, Juraj Valčuha propose une direction précise, cultivant des couleurs lumineuses, un discours fluide et sans emphase. Très attentif au plateau vocal, il est parfois contraint d’éteindre l’orchestre pour faire place à des voix en retrait. On distingue ainsi la petite renarde truculente d’Elena Tsallagova, voix claire soutenant bien le lyrisme parlando de la partition, elle redonne vie au personnage vif argent qu’elle avait composé lors de la dernière reprise parisienne du spectacle. Paula Murrihy, qui donne la réplique en renard, projette bien son mezzo léger permettant de gracieux duos avec la renarde. Du côté des êtres humains, Milan Siljanov (le Garde-chasse) fait preuve d’un beau legato, qui souligne le caractère contemplatif du personnage face à la nature, mais le bas-médium peu projeté rompt cette belle ligne. Tadeáš Hoza (le Vagabond) dispose d’une voix plus homogène et campe très bien le personnage ridicule et sombre du braconnier qui ôte la vie à la renarde. Enfin Éric Huchet est un instituteur sensible.

L’Opéra débute ainsi l’année sur une jolie reprise, portée principalement par la renarde et le chef qui réalisent avec beaucoup de soin cette miniature tendre et vivante.

 

J.C.

La Petite Renarde rusée est à l'affiche de l'Opéra de Paris jusqu'au 1er février.

(c) Vincent Pontet/OnP