Michael Porter (Leander), Liviu Holender (Henrik), Monika Buczkowska (Leonora), Barbara Zechmeister (Pernille), Alfred Reiter (Jeronimus), Susan Bullock (Magdelone), Samuel Levine (Arv), Michael McCown (Leonard), Božidar Smiljanić (le maître de la mascarade/le veilleur de nuit), Danylo Matviienko (le vendeur de masques). Orchestre et chœur de l’Opéra de Francfort, dir. Titus Engel, mise en scène : Tobias Kratzer (Francfort, 2 et 4 décembre 2021).
Naxos 2.110762. 2h27. Synopsis et sous-titres anglais et allemands. Distr. Outhere.
Considéré depuis sa création en 1906 comme l’opéra national du Danemark, Maskarade de Nielsen n’avait, jusqu’à présent, donné lieu qu’à la parution d’un seul DVD, enregistré à Copenhague par la firme Dacapo en 2006. C’est de l’Opéra de Francfort, compagnie particulièrement dynamique en matière de création et d’exploration du répertoire, que nous provient cette seconde version, chantée dans une traduction allemande de Martin G. Berger. Avouons d’emblée que, malgré ses qualités indéniables, ce spectacle ne se situe pas exactement au même niveau que celui de la captation danoise. Bien que disposant d’une équipe très solide, le chef Titus Engel propose certes une lecture alerte et colorée de la partition, mais sans le côté vif-argent et scintillant qui faisait tout le prix de la direction absolument irrésistible de Michael Schønwandt. Il faudrait aussi par moments alléger la pâte orchestrale et adopter des tempos un peu plus allants pour que la comédie nous emporte davantage dans un délicieux vertige, comme dans les célèbres pages du troisième acte, soit la Danse des coqs et la pantomime Mars et Vénus ou la Ruse de Vulcain.
L’autre bémol tient à la mise en scène de Tobias Kratzer et aux décors et costumes de Rainer Sellmaier. La transposition à notre époque de la pièce écrite en 1724 par le dramaturge Ludvig Holberg n’a évidemment rien d’étonnant, mais elle s’avère en fait assez terne. L’ensemble de l’action se déroule dans un seul et même décor extrêmement sombre composé d’une espèce de conque noire percée de nombreuses portes. Au milieu du plateau, on retrouve une petite scène légèrement surélevée où prennent place quelques rares accessoires. Il faut à vrai dire une bonne dose d’imagination pour comprendre que l’on passe entre les deux premiers actes de l’intérieur de la maison du sévère Jeronimus à la place devant celle-ci. Quant au dernier tableau, celui tant attendu de la fête, il ne réserve comme seule surprise que des portes recouvertes de miroirs et une agitation bien peu excitante, voire plutôt maladroite. La Danse des coqs comporte à peine quelques timides pas de danse et il faut attendre la pantomime Mars et Vénus pour enfin avoir droit à une chorégraphie digne de ce nom. La douce folie de ce tableau en principe déjanté se résume finalement à un défilé de costumes bigarrés où Batman côtoie par exemple Björn Borg, illustration de la maxime écrite en grosses lettres noires sur le tee-shirt du maître de la mascarade : « Be whoever you want to be ». En écho aux questionnements actuels sur la théorie du genre, une joyeuse indistinction entre hommes et femmes règne à ce moment. C’est en vérité bien insuffisant pour rendre justice à un livret qui dénonce la morale étriquée du Danemark d’autrefois à travers le personnage de l’acariâtre Jeronimus qui, non content de protester sans cesse contre les mœurs dépravées de son temps, cherche à marier de force son fils Leander à la fille de son ami Leonard.
À défaut de compter des solistes exceptionnels, la distribution réunit des chanteurs de très bon calibre qui endossent fort bien leurs rôles respectifs. Serviteur et surtout complice de Leander, Henrik trouve en Liviu Holender un interprète au chant racé mais qu’on souhaiterait plus truculent, un peu à l’image du Figaro de Beaumarchais, qui s’en approche à bien des égards. Il forme néanmoins un fort joli couple avec la désopilante Pernille de Barbara Zechmeister. Très convaincants dans l’expression de la tendresse qu’éprouvent l’un pour l’autre Leander et Leonora, Michael Porter et Monika Buczkowska sont toutefois un peu à la peine dans les grandes envolées passionnées du deuxième acte. Soprano britannique s’étant notamment illustrée en Brünnhilde et Elektra, Susan Bullock a désormais la voix bien élimée, mais campe tout de même une Magdelone haute en couleur, en particulier lorsqu’elle esquisse quelques pas de danse en évoquant la « Folie d’Espagne » du premier acte. En dépit de l’usure de ses moyens, elle éclipse aisément la basse Alfred Reiter qui, dans le rôle de son sinistre mari, ne possède pas plus d’autorité vocale que de don inné pour la comédie. Si les ténors Michael McCown et Samuel Levine donnent beaucoup de relief à Leonard et au domestique Arv, ce sont surtout les barytons Božidar Smiljanić et Danylo Matviienko qui marquent l’attention par la richesse de leur timbre en maître de la mascarade et vendeur de masques. La virtuosité dont fait montre le chœur dans cet ouvrage très exigeant ajoute enfin à l’intérêt de ce DVD, qui souffre cependant un peu de la comparaison avec la version enregistrée à Copenhague, assurément plus « authentique » et festive.
L.B.