La production des Fêtes d’Hébé vient clore l’année à l’Opéra Comique et célébrer les 80 ans de William Christie. Ouvrage rare, qui connut un franc succès à sa création malgré un livret décousu et assez faible, il tient grâce à la richesse de sa partition, la multiplicité des couleurs et des affects dont Rameau pare sa partition. Le livret célèbre les Talens lyrique (poésie, chant, danse), et loue le plaisir terrestre par opposition au séjour des dieux dont Hébé vient d’être chassée. Prétexte à grand spectacle, cet opéra-ballet s’inscrit toutefois dans des codes mythologiques, et tient finalement un discours nuancé sur le plaisir.

Robert Carsen propose une lecture amusante mais fort limitée, c’est-à-dire efficace sur l’instant mais finalement désespérante au souvenir. L’intrigue est parisienne, alors le Palais de Élysée est un Olympe tout trouvé, surtout quand le présent locataire s’est illustré par des rodomontades narcissiques l’identifiant à Jupiter. Le prologue – qui se déroule sur l’Olympe – se tient donc dans la salle des fêtes de l’Élysée ou M. et Mme M. reçoivent leurs hôtes, Hébé, une serveuse, renverse du vin sur la robe de Madame, voilà une bonne raison de la chasser de l’Olympe. Changement de projection sur toile de fond et nous voilà devant les grilles du Palais. Hébé et Amour assurent le spectacle et les Fêtes d’Hébé rendue à la vie parmi les mortels peuvent commencer. À l’acte I nous jouissons des aménités de Paris-Plage, alors que Sappho plaide la cause d’Alcée – agent de la manifestation estivale tout comme elle – auprès d’Hymas devenu gendarme en charge de la sécurité des lieux. Le deuxième acte met en scène des lacédémoniens devenus équipe de foot – toujours sur les quais -, et le troisième est une soirée électro en plein air – encore sur les quais. Tout cela est habile, bien fait, le ballet des footballeurs est même très bien vu et étonnant, les acteurs bien dirigés, et l’usage de la vidéo au III où l’Amour (devenue influenceuse) filme la danse qui est reprojetée en fond de scène, créant un sentiment d’ivresse et comptant parmi les rares moments où émerge une beauté visuelle. Carsen est un bon faiseur, mais le propos est désespérément creux, surjouant le divertissement, offrant en réalité une jouissance facile en évitant de susciter l’émotion et de travailler le sensible. Certes l’intrigue est décousue, car chaque acte est parfaitement indépendant l’un de l’autre, certes il s’agissait – dès la création – d’un divertissement, mais on peut difficilement passer à côté du moralisme de la pièce : le portrait du bon prince (juste au I, valeureux au II, flamboyant au III), et la place bien réelle à accorder au plaisir – dont l’importance est d’ailleurs le plus souvent en rapport avec le rang. Le livret peut en effet donner envie de s’abstraire de ces contorsions, mais il est regrettable d’écraser la variété des affects sous du « rigolo » permanent, car la musique de Rameau en raconte davantage.

            William Christie célèbre ses 80 ans – mais est-il vraiment ce bon prince célébré en filigrane de l’œuvre ? – et se fait plaisir à la tête de ses Arts florissants. Alacrité du tempo, travail des couleurs, justesse des nuances, la variété et le raffinement sont sonores et compensent ce qui se dérobe à la vue. La distribution est bâtie autour de Lea Desandre qui interprète Sappho, Iphise, et Eglé. Peut-être n’était-il pas utile de lui confier les trois rôles, car Sappho, peu audible, manque de corps. On apprécie mieux la chanteuse très stylée et raffinée dans Iphise et Eglé. Marc Mauillon, espiègle Momus et surtout fringant Mercure, est le point fort de cette distribution, timbre clair et voix bien placée il compose des personnages savoureux et rend justice au texte. L’Hébé d’Emmanuelle de Negri ne manque pas d’abattage, la voix est charnue et le texte bien animé. Cyril Auvity prête sa voix claire et son chant bien façonné aux rôles du ruisseau et de Lycurgue. Enfin l’Amour d’Ana Vieira Leite, un peu courte dans le bas-médium, donne toutefois de jolies couleurs à son vibrionnant personnage.

            Lors des saluts, William Christie relance l’orchestre pour esquisser quelques pas de danse avec Lea Desandre. Pour son anniversaire il aura donc eu sa « boum » salle Favart, dans un spectacle discutable et musicalement inégal.

J.C.