Michael Schade (Astromonte), Martin Summer (Eutifronte), Kai Kluge (Nadir), Leonor Amaral (Nadine), Jonas Müller (Lubano), Elena Harsányi (Lubanara), Theresa Pilsl (Genius), Joachim Höchbauer (Sadik), Hofkapelle München, Chorder Klang Verwaltung, dir. Rüdiger Lotter.
DHM (2 CD). 2h26. 2024. Notice en anglais. Distr. Sony.
Œuvre collégiale, cette Pierre philosophale (1790) préfigure La Flûte enchantée, créée neuf mois plus tard sur la même scène : même librettiste et « producteur » (Emanuel Schikaneder), même source (Dschinnistan, recueil de contes orientalisants de Martin Wieland), forme identique (singspiel en deux actes), interprètes communs, trame proche. Située dans la mythique Arcadie – Der Zauberinsel, l’ « île enchantée » du sous-titre –, l’action met en scène deux magiciens, l’un associé au Bien (Astromonte), l’autre au Mal (son frère Eutifronte), qui, comme dans La Flûte, se disputent deux couples d’humains, l’un noble (Nadir/Nadine), l’autre bouffe (Lubano/Lubanara). Et, déjà, une série d’épreuves, dont celle du silence, attend les quatre amoureux qui, déjà, auront à maîtriser l’usage d’objets magiques…
Côté musique, l’ouvrage était depuis longtemps connu pour recéler une page de la main de Mozart : un « duo des chats » dans lequel Lubanara se voit cantonnée au miaulement. Le reste de la partition, on le savait aussi, était dû à divers compositeurs appartenant à la même loge maçonnique, mais ce n’est qu’en dépouillant des manuscrits rétrocédés par la Russie, en1997, que le professeur David Buch put attribuer chaque morceau à son auteur : parmi ceux-ci, outre Mozart et Schikaneder lui-même (qui créera le rôle de Lubano avant de s’orner des plumes de Papageno), le ténor Benedikt Schack (interprète d’Astromonte et futur Tamino), la basse Franz Xaver Gerl (futur Sarastro) et Johann Baptiste Henneger. Les cinq amis écrivent dans des styles proches, mêlant formes populaires (lieder) et climat Sturm und Drang (pages orchestrales et chorales ; vastes finales). Ce sont surtout les deux rôles de ténors qui brillent : l’on remarquera les similitudes entre le premier air de Nadir et celui de Tamino, entre l’apparition d’Astromonte et celle de la Reine de la Nuit…
L’édition de David Bruch a donné lieu, dès 1999, à une charmante intégrale conduite par Martin Pearlman (Telarc). Le présent coffret propose une édition différente, où manque une marche et le dernier air de Lubano, tandis que les dialogues (parlés) y sont plus développés – beaucoup trop pour un public non germanophone. Elle pâtit aussi d’une direction sèche, mordante mais avare de lyrisme, qui bride l’épanchement des (beaux) instruments – plus libres chez Pearlman. Mais la distribution, sans imposer de grandes voix, se révèle très homogène : Schade et Kluge rivalisent de finesse comme de musicalité, Müller excelle dans le syllabisme de Lubano, Amaral, malgré une certaine acidité, campe une touchante Nadine, avec laquelle contraste la Lubanara fruitée d’Harsanyi. Et, si les deux basses restent en retrait, on admire particulièrement la fougue et les couleurs de l’ensemble choral : quatorze voix (avec deux parties de ténors, sans altos), dont sont issues les « quatre dames énamourées » – qui ne seront plus que trois, dans La Flûte...
O.R.
Notre édition de La Flûte enchantée/L'Avant-Scène Opéra n°339