Reçue de façon plutôt mitigée à sa création en 2016, la production de Rigoletto de Claus Guth fait retour à l'Opéra Bastille pour une double série de représentations jusqu'en juin 2025. Vu comme une sorte de flashback, le drame du bouffon (évidemment privé de toute difformité physique) est installé dans la boîte en carton dans laquelle le double du protagoniste, devenu un pathétique SDF omniprésent sur le plateau, transporte le fardeau de ses souvenirs et de sa culpabilité : sa tenue de bouffon, la robe blanche de Gilda tachée de sang et un crâne. Ce décor froid et sans relief que viennent animer par intermittence quelques images vidéos de la petite fille que fut Gilda ne permet aucunement de mettre en scène son invraisemblable enlèvement, réduit à une vague chorégraphie des courtisans en costumes noirs masqués de blanc. Gilda elle-même se voit à plusieurs reprises démultipliée sous la forme d'une jeune ballerine et le chœur des courtisans au deuxième acte est également animé par une esquisse de ballet. Quelques idées fortes où l'on reconnait le meilleur du langage du metteur en scène, viennent soutenir la dramaturgie du dernier acte, tel cet air du Duc, traité avec le quatuor qui suit comme un numéro de music-hall dont Maddalena est la meneuse. Le rideau de scène bleu qui tombe après ce « divertissement » deviendra à terre l'évocation de la rivière, linceul final de Gilda dont le fantôme sort des coulisses pour sa scène de mort « debout », comme celui de Mimi dans une certaine Bohème « spatiale » si contestée du même.

Dans le rôle-titre, Roman Burdenko ne peut lutter avec le souvenir de Ludovic Tézier ni même de Željko Lučić. Son baryton clair ne lui permet guère de varier la couleur ni de donner à son  célèbre air de fureur du deuxième acte toute la puissance qu'il réclame et qui reste d'une expressivité tout à fait générique. Liparit Avetisyan caractérise avec beaucoup de vigueur son personnage de débauché cynique mais si le style et la vaillance sont au rendez-vous, les aigus de son Duc manquent un peu de brillant et de liberté, et sous la pression, son timbre de tenore di grazia laisse entendre un vibrato serré. Seule, la lumineuse Gilda de Rosa Feola parait à la hauteur de ses devancières (Lisette Oropesa ou Nadine Sierra) avec un soprano lyrique léger épanoui donnant toute la candeur voulue à son personnage sans mièvrerie aucune et gagnant en puissance émotionnelle au fil de la soirée. Du côté des petits rôles, on mentionnera l'excellent Sparafucile de Goderdzi Janelidze et la Maddalena pulpeuse d'Aude Extrémo. Le Monterone puissant mais assez pâteux de Blake Denson, guère aidé par son déguisement de mafieux sicilien, est affaire de goût. Les autres petits rôles sont assumés avec compétence par les membres de la Troupe lyrique de l'Opéra parmi lesquels se distingue particulièrement la mezzo Marine Chagnon à l'articulation parfaite dans le rôle pourtant très épisodique de Giovanna. Le chœur masculin de l'Opéra est d'une belle homogénéité et, dans la fosse, le chef vénézuélien, Domingo Hindoyan, dirige une version très équilibrée de la partition de Verdi à laquelle on pourrait parfois souhaiter un rien de dramatisme supplémentaire.


A.C.

Rigoletto est à l'affiche de l'Opéra de Paris jusqu'au 12 juin 2025.

Notre édition de Rigoletto/L'Avant-Scène Opéra n° 273


(c) Benoîte Fanton/OnP