Jeu de chaises musicales au Carmel pour cette nouvelle reprise des Dialogues des Carmélites au Théâtre des Champs-Élysées : si Véronique Gens conserve le rôle de Madame Lidoine, Sophie Koch passe de Mère Marie de l’Incarnation à Madame de Croissy, et se voit remplacée par Patricia Petibon, elle-même faisant place à une nouvelle venue dans le rôle de Blanche de la Force, Vannina Santoni. La transformation ne profite pas également à tous les personnages. Véronique Gens a le verbe et le port altiers, sa Lidoine est protectrice et hiératique. Sophie Koch garde la règle du Carmel et la voix puissante, en portant la première Prieure au bout de l’agonie. À Patricia Petibon il manque quelques ressources vocales, dès lors elle compense les noirceurs de Mère Marie par un chant décousu et exagéré… difficile de croire. Vannina Santoni est une Blanche décidée, la voix est homogène, le chant bien assuré, les nuances subtiles, le personnage complexe et l’artiste émouvante. Manon Lamaison prête ses aigus cristallins, et sa voix bien assise dans le bas-médium, à Sœur Constance. Sous la candeur perce la force d’une foi inébranlable, le chant pourrait toutefois s’alléger pour un contraste plus intéressant avec Blanche.

 Chez les hommes, le Marquis de la Force d’Alexandre Duhamel est plus héroïque que noble, et le chevalier de Sahy Ratia déploie une ligne de chant gracieuse voire enflammée lors de la visite au Carmel, enfin Loïc Félix est un aumônier bien chantant et touchant.

Karina Canellakis dirige les Siècles avec un sens du théâtre certain, conjuguant urgence et suspension, elle souligne habilement la sensualité de la musique de Poulenc, et détaille les inflexions d’une partition moulée sur le discours et le dialogue… En outre, la cheffe américaine porte une attention constante au plateau vocal, sans jamais emporter les voix ni faire disparaître l’orchestre.

Quoiqu’il s’agisse de la deuxième reprise de cette production, on découvrait la mise en scène stupéfiante d’Olivier Py. Dans un dégradé de noir et de gris signé Pierre-André Weitz et éclairé par Bertrand Killy, complices réguliers du metteur en scène, Py met en valeur les dialogues, comme une succession d’images renforcée par l’irruption régulière de tableaux vivants représentant l’annonciation, la Vierge à l’enfant, la Cène ou encore la crucifixion. Le metteur en scène met en valeur les coups de sonde que Bernanos donne habilement dans les tréfonds de ces âmes tourmentées. Parmi tant d’autres on retient deux tableaux : l’agonie de Madame de Croissy sur son lit suspendu au mur qui met le spectateur dans la position du surplomb divin, offrant la sensation mêlée d’être l’ordonnateur de la douleur, et d’une incapacité à agir sur les destins. Enfin, la scène dernière, où les religieuses, une par une, quittent le groupe réuni en arc de cercle pour s’avancer vers un ciel constellé… horizon d’un espoir chrétien ou d’une dissolution dans un infini insaisissable ?

 

J.C.

Dialogues des Carmélites est à l'affiche du TCE jusqu'au 12 décembre 2024.

Retrouvez notre numéro : ASO n° 257 : Dialogues des Carmélites (Poulenc)

(c) Vincent Pontet