Diana Damrau (Rosalinde), Katharina Konradi (Adele), Georg Nigl (Eisenstein), Martin Winkler (Frank), Andrew Watts (Orlofsky), Sean Panikkar (Alfred), Markus Brück (Falke), Kevin Conners (Blind), Miriam Neumaier (Ida), Max Pollak (Frosch). Orchestre et Chœur de l’Opéra d’État de Bavière, dir. Vladimir Jurowski, mise en scène : Barrie Kosky (Opéra d’État de Munich, décembre 2023).
Bayerische Staatsoper Recordings. 2 DVD. Notes et synopsis en anglais et allemand, sous-titres français. Distr. BSO Recordings.
Alors que la première série de représentations des Brigands dans la version de Barrie Kosky vient de s’achever au palais Garnier, voici que nous arrive le DVD de La Chauve-Souris que le metteur en scène australien avait montée l’an dernier à Munich. Comme toujours, sa production regorge d’idées, de couleurs et d’exubérance, sans toutefois se hisser au rang de ses spectacles vraiment aboutis. Car si le premier acte s’avère particulièrement réussi, la fête chez Orlofsky nous laisse sur notre faim, tandis que le dernier acte s’avère franchement décevant. Tout commence donc de façon brillante dès l’ouverture, qu’agrémente un amusant ballet de chauves-souris qui viennent perturber le sommeil d’Eisenstein. Dans un décor sans cesse en mouvement qui recrée une Vienne fantasmée de carte postale et qui joue de l’indistinction entre extérieur et intérieur, la comédie est lancée avec maestria. L’aspect riant des édifices baroques n’est cependant qu’une façade qui dissimule une réalité moins charmante, comme le laissent supposer des échafaudages qui sont très visibles au deuxième acte. Alors que les costumes rappelaient jusqu’alors l’époque de la création de l’ouvrage, les invités du bal sont habillés comme les membres de la troupe hippie The Cockettes, dont Kosky s’était d’ailleurs déjà inspiré pour Kiss Me, Kate au Komische Oper en 2016 et qui se rapproche également de l’univers queer de ses Brigands. Dans une véritable débauche de vêtements bigarrés, fausses barbes aux couleurs criardes et maquillages outranciers, l’incertitude des sexes est totale. Sans surprise, Orlofsky (chanté par le contre-ténor Andrew Watts) porte d’extravagants costumes féminins, choix qui est en voie de devenir un poncif chez Kosky. En dépit d’un vibrant hymne au champagne scandé par de vigoureux claquements de mains et malgré une frénétique polka Sous le tonnerre et les éclairs, la fête n’atteint cependant pas à la folle ivresse à laquelle on est en droit de s’attendre. Il manque en effet cet abandon à une délicieuse sensualité qu’il faut davantage suggérer que souligner à gros traits. Quant au troisième acte, il débute par un interminable pensum. La grande scène de Frosch, qui peut déchaîner l’hilarité générale du public, se résume ici à quelques danses de claquettes d’un intérêt médiocre. Vient ensuite la pénible pantomime de Frank, juché sur des chaussures à talons hauts et extirpant sa clef de son slip, qui s’éternise et ne parvient à susciter qu’un ennui total. L’action reprend ses droits avec l’entrée d’Adele et d’Ida, mais sans jamais vraiment retrouver son rythme avant le baisser du rideau.
L’exécution musicale nous procure heureusement un bonheur plus constant, grâce en premier lieu à la direction scintillante de Vladimir Jurowski. On ne saurait certes espérer un miracle comparable à celui réalisé par Carlos Kleiber dans cette même salle (à partir de 1974) dans la production légendaire d’Otto Schenk, mais la chimie opère parfaitement avec l’orchestre et les chanteurs, qui nous entraînent dans un très agréable vertige. Mentionnons en passant qu’un quatuor à cordes interprète quelques valses de Strauss pendant les passages parlés du bal, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Pour sa première Rosalinde, Diana Damrau éblouit par un jeu confondant de naturel et un chant d’une grande élégance. Le suraigu n’a toutefois plus son aisance souveraine de jadis, comme on peut l’observer à la fin du premier acte ou dans la csárdás. Katharina Konradi est pour sa part une Adele absolument irrésistible de fraîcheur vocale, de virtuosité ébouriffante et de spontanéité. Déployant énormément d’énergie dans les danses du deuxième acte, Georg Nigl est un Eisenstein dont les relatives faiblesses du registre aigu sont amplement compensées par la beauté du phrasé. Sans posséder l’instrument le plus idoine pour les différents extraits du répertoire pour ténor qu’il enchaîne chez Rosalinde et en prison, Sean Panikkar est un Alfred tout à fait en situation. Si l’on ne s’étonne plus, depuis que Jochen Kowalski a incarné Orlofsky à Vienne en 1991, d’entendre un contre-ténor dans ce rôle destiné à une mezzo, il faut convenir qu’Andrew Watts laisse une impression pour le moins partagée en raison d’une voix fatiguée dont seul le médium a bien résisté aux outrages du temps. Le Falke de Markus Brück s’amuse ferme, même si son « Brüderlein un Schwesterlein » pourrait être davantage ensorcelant. Du reste de la distribution, il faut relever l’excellent Martin Winkler, dont la voix de baryton-basse bien sonore convient admirablement à Frank. En somme, cette nouvelle Chauve-Souris constitue une version tout à fait honorable, mais ne saurait pleinement satisfaire que les inconditionnels de Barrie Kosky.
L.B