Isabelle Druet (Calypso), Antonin Rondepierre (Télémaque), Emmanuelle de Negri (Antiope/Eucharis), David Witczak (Adraste), Hasnaa Bennani (l’Amour, Cléone), Marine Lafdal-Franc (Minerve), Adrien Fournaison (Apollon), David Tricou (Arcas), Les Ombres, Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, dir. Sylvain Sarthe et Margaux Blanchard.

Château de Versailles Spectacles 128 (2 CD). 2023. 2h07. Notice en français. Distr. Outhere.

Après la Sémiramis (1718) enregistrée en 2020 pour le même éditeur, Les Ombres témoignent à nouveau de leur intérêt pour André-Cardinal Destouches (1672-1749), le musicien mousquetaire. Septième des dix opéras de Destouches, Télémaque et Calypso (1714), créé entre Callirhoé (1712, enregistrée par Hervé Niquet pour Glossa en 2006) et Sémiramis, ne connut ni le succès de la première ni l’échec de la seconde. Si l’ouvrage se prête moins aux réactions extrêmes, c’est peut-être parce que le livret de l’abbé Pellegrin (futur librettiste d’Hippolyte et Aricie) préfère les sinuosités d’une intrigue tortueuse à la caractérisation de personnages bigger than life : Calypso, après avoir dû laisser partir Ulysse, s’éprend de son fils Télémaque, lequel est promis à Antiope mais épris d’Eucharis. On apprendra finalement qu’Antiope et Eucharis ne sont qu’une seule et même personne, et Calypso, restée une fois de plus sur le carreau, se verra réduite à provoquer une horrible et bien inutile tempête…

Ajouté à la version de 1730 (celle qui a ici été choisie), ce bref cataclysme est à l’image d’une partition dense et variée qui, plus qu’aucune autre, annonce Rameau : abondance des récits accompagnés, très imagés, largeur « italienne » des mélodies, aux intervalles expressifs, polychromie de l’instrumentation, brièveté des sections et des récits… Ne serait-ce que pour son prodigieux troisième acte (monologue préromantique d’Adraste, suivi d’un duo furieux avec Calypso, double chaconne de la scène d’enchantement) l’œuvre méritait amplement d’être tirée de l’oubli.

On regrette que Les Ombres le fassent avec une modestie pas forcément adaptée au grand genre de la tragédie lyrique : les effectifs sont un peu maigres (vingt-quatre instrumentistes, dont un seul basson ; chœur, parfois disparate, de dix-sept chanteurs, dont seulement trois basses) ; la direction manque de puissance (notamment dans les finales des actes pairs) ; le continuo se montre prudent, dans des récitatifs souvent trop « chantés », et les petits rôles, exception faite de la sensuelle Hasnaa Bennani, s’avèrent… bien trop petits.

Mais les solistes vocaux sauvent la mise. L’émission concentrée de Witczak fait toujours merveille dans le féroce rôle d’Adraste, qui meurt à la fin de l’acte IV (non sans distiller son venin, à la façon d’Argant, dans le Tancrède de Campra), quand l’élégance et la suave voix mixte de Rondepierre suppléent au manque de métal de son timbre. Les deux dames rivalisent d’éloquence : malgré une partie un peu grave, la radieuse de Negri avoue ses sentiments avec autant de charme que de tendresse tandis que l’élocution au cordeau et les vocalises incandescentes de Druet confèrent tout leur relief à la figure (trop) complexe de Calypso.

 

O.R