Après un Don Giovanni qui nous avait ravi en mai 2022 par l’intelligence et l’originalité de sa mise en scène, Bertrand Alain revient à l’Opéra de Québec en proposant une Chauve-Souris qui nous laisse une impression moins enthousiaste. Transposée sans justification véritable dans le cadre de l’Exposition universelle de Montréal de 1967, l’opérette de Johann Strauss fils se trouve ici plombée par des dialogues versant trop souvent dans le trivial et un langage d’un niveau très familier qui viennent rompre une bonne partie de son charme. Il est évidemment de bon aloi de modifier quelques éléments du livret et d’ajouter un certain nombre de répliques pour amuser le public local, mais l’équilibre délicat de cette comédie raffinée est trop souvent rompu au profit de scènes à l’humour vraiment peu subtil. On en veut pour preuve les interventions à l’humour gras du geôlier Frosch et l’intermède longuet entre les deux premiers actes au cours duquel une fausse Elizabeth Taylor jouée par un homme remet des prix à des vedettes du petit ou du grand écran comme les héros des Joyeux Naufragés (Gilligan’s Island) et du Magicien d’Oz. Si l’idée de remplacer le costume de chauve-souris par celui de Batman est amusante, on aurait aimé que Falke se comporte moins en matamore et davantage en héros sympathique, à l’image du chef Nicolas Ellis momentanément métamorphosé en Robin… L’esprit de l’œuvre aurait aussi réclamé de vrais moments de griserie au deuxième acte, une ou deux danses chorégraphiées avec soin et surtout une atmosphère doucement euphorisante lorsque Falke enjoint toute la joyeuse compagnie à s’abandonner au plaisir de l’amour fraternel, moment-clé de l’ouvrage. Le décor minimaliste composé d’une simple armature de bois ne facilitait certes guère la tâche du metteur en scène, mais le chœur aurait ici gagné à mieux participer à l’action et à bouger avec plus de naturel.

Heureusement, l’interprétation musicale compense en partie la déception scénique. La première source de satisfaction réside dans la direction pétillante de Nicolas Ellis, qui, après Les Noces de Figaro à Montréal en septembre dernier, confirme ses immenses qualités de chef lyrique. Après une ouverture scintillante à souhait, il infuse énergie et souplesse aux musiciens de l’Orchestre symphonique de Québec ainsi qu’au Chœur de l’Opéra de Québec. La distribution est dominée par la soprano Jessica Latouche, dont la voix large et les aigus bien acérés répondent bien aux exigences du rôle de Rosalinda, et ce, jusque dans la redoutable czardas du deuxième acte. Dominique Côté incarne quant à lui un Eisenstein très crédible en mari volage, mais la richesse du médium et du grave ne peut faire oublier les insuffisances du registre aigu. Mieux doté vocalement, Dominic Veilleux est un Falke bien chantant et qui se distingue par sa diction absolument parfaite. En Adèle, Catherine St-Arnaud possède toute l’agilité requise, mais la voix s’avère petite et quelque peu aigrelette. En revanche, sa sœur Ida bénéficie du riche timbre de Rose Lebeau-Sabourin, qu’on aimerait réentendre dans un rôle plus important. La même remarque s’applique au baryton Geoffroy Salvas, qui fait merveille en Frank débonnaire. Dans une forme impressionnante, Éric Laporte campe un Alfred à la voix de stentor qui aborde avec autant de bonheur la cavatine de Roméo et Juliette que de multiples airs italiens. En dépit d’un instrument au timbre agréable, le prince Orlofsky de Marie-Andrée Mathieu manque de mordant, au contraire du Dr Blind bien en situation de Hugues Saint-Gelais. En résumé, cette nouvelle Chauve-Souris retient d’abord notre attention par sa dimension musicale, tout en nous rappelant les risques d’écueils que peuvent entraîner certaines transpositions.


L.B


Rose Lebeau-Sabourin (Ida), Catherine St-Arnaud (Adèle), Geoffroy Salvas (Frank) et Dominic Côté (Eisenstein). © Emmanuel Burriel