Huées et sifflets avaient salué au final la première de cette Sonnambula dont les metteurs en scène, Clarac et Deloeuil et leur « Lab », disent s’être plutôt intéressés à son sommeil qu’à son réveil. De fait, ils ont imaginé une vidéo où un double contemporain d’Amina erre de musées en chambres d’hôtel, aux prises avec un insurmontable sommeil, tombe même en catalepsie, et au final, entre en chair et en os au Teatro Costanzi, portant des fleurs à la chanteuse après son rondo final, comme si l'opéra de Bellini n'était qu'une sorte de rêve. Pour le reste, ils semblent avoir voulu désamorcer les aspects « folkloriques » du livret en les ridiculisant : costumes et drapeau suisses apparaissent sur le proscenium pour quelques numéros de la partition qu’ils ont baptisés « performance ». Ils ont même inventé un site de réalité augmentée imaginaire baptisé « Elvezia + » qui répond à leur décor « high tech » où un long proscenium mobile omniprésent évoque clairement un lit. Entre deux séquences de vidéo, quelques images d’anciennes productions de l'Opéra de Rome, et d’interprètes (Callas bien sûr et Giuditta Pasta) ou des portraits célèbres de femmes du Palazzo Barberini accompagnés d’une relecture photographique des sujets, apparaissent comme autant de figures de la féminité, la plupart du temps nues, donnant une tonalité érotique à une histoire où il est surtout question de la virginité de l’héroïne. Quelques touches de féminisme, telle la gifle d’Amina à Elvino au final de l’acte I, associées à cette relecture au deuxième voire au troisième degré, avaient de quoi déconcerter, et même irriter un public plutôt conservateur mais, dès la deuxième représentation, à laquelle nous avons assisté, les esprits s'étaient calmés.

Les deux distributions, quant à elles, ont largement fait l’unanimité. Dans la première, Lisette Oropesa s'affirme comme une interprète idéale du rôle-titre, brillante dans la colorature et remarquablement expressive dans le cantabile, comme le montre une scène de somnambulisme finale d’une mélancolie très prenante. Ses variations, toutefois, dans la cabalette de l’air d’entrée, paraissent assez discutables avec des cocottes et des notes piquées un rien trop démonstratives. La soprano américaine possède aussi une aisance et un tempérament scéniques qui manquent tout à fait à Ruth Iniesta (dans la seconde distribution) dont la voix plus centrale convient bien aux aspects lyriques du rôle mais dont la colorature laisse un peu à désirer. Des ténors, notre goût va plutôt vers le second, Marco Ciaponi, dont le timbre solaire, le phrasé nuancé et le vaillance pour affronter sans tricher les suraigus d’un rôle écrit pour le célèbre Rubini sont plus que méritoires, même si peut-être il n’y réussit pas toujours pleinement. La voix de John Osborn a perdu un peu de fraîcheur pour affronter ce rôle de ténor di grazia et d’évidence le chanteur transpose le rôle pour en éviter les contre-notes, ne lui apportant guère qu’une vaillance légèrement uniforme. La voix somptueuse de basse chantante de Roberto Tagliavini (le Comte Rodolfo) n’a pas de mal à surclasser le jeune Manuel Fuentes au timbre un peu nasal et à la prestation assez générique mais on pourra reprocher au premier un certain manque de finesse dans la caractérisation de son air d’entrée, surtout dans la cabalette à laquelle il donne un caractère martial qui ne correspond guère à la situation. D’une soirée à l’autre, l’on retrouve la Lisa piquante et très bien caractérisée de Francesca Benitez et l’Alessio bien chantant de Mattia Rossi, une basse du programme des jeunes artistes de l’Opéra de Rome. Monica Bacelli offre à Teresa son mezzo-soprano bien timbré et une personnalité affirmée. L'excellent chœur et l'orchestre répondent parfaitement à la direction élégante de Francesco Lanzillotta dont le sens raffiné du détail instrumental n’empêche pas une belle tension dramatique, palpable dans des ensembles de grande tenue. La partition est donnée avec toutes ses reprises, variées selon les interprètes, ce qui renforce encore l'intérêt d'assister aux deux soirées au final assez différentes mais toutes deux pleinement convaincantes au plan musical.

 

A.C


© Fabrizio Sansoni - Teatro dell’Opera di Roma