Reinoud van Mechelen (Céphale), Déborah Cachet (Procris), Ema Nikolovska (l’Aurore), Lore Binon (Dorine, Flore), Gwendoline Blondeel (Iphis), Lisandro Abadie (Borée, Pan), Marc Mauillon (la Jalousie), Samuel Namotte (Arcas), Chœur de chambre de Namur, A nocte temporis, dir. Reinoud van Mechelen.

Château de Versailles Spectacles (2 CD). 2022. 2h28. Notice en français. Distr.Outhere.

Fille et épouse d’organiste, Elisabeth-Claude Jacquet de La Guerre (1665-1729) se distingue très tôt pour ses aptitudes musicales et, ce qui est alors plus rare, son talent de compositrice : elle compte parmi les premiers auteurs français à avoir acclimaté les genres italiens de la cantate comme de l’oratorio, et, à vingt-huit ans, elle est la première femme à marcher sur les traces du défunt Lully en s’attaquant au genre majeur de la tragédie lyrique. Appréciée par la cour, Céphale et Procris (1693) sera cependant boudée par le public – ce dont il faut en partie rendre responsable le livret (du débutant Duché de Vancy), dont les personnages hésitent sans cesse entre jalousie et compassion et dont le finale tragique apparaît téléphoné. Si la musique se plie aux canons lullistes, elle brille surtout dans les petites formes : les « récits » (ceux de Procris sont particulièrement touchants) et les divertissements. Déjà partiellement enregistré, de façon approximative, par l’ensemble Musica Fiorita en 2008 chez ORF (avec, déjà, Lisandro Abadie, dans le petit rôle d’Arcas), l’ouvrage s’épanouit, ici, pour la première fois dans son intégralité, sous la baguette sensible du chef et haute-contre Reinoud van Mechelen.

Ce qui frappe dans cette direction, dès les lignes souplement déployées de l’ouverture, c’est son caractère chantant, fort différent de ce qu’on a l’habitude d’entendre dans le répertoire louis-quatorzien. Le travail orchestral reste de bout en bout ciselé, somptueux, articulé sur une dynamique travaillée (jeu sur les forti et piani, sur le legato et le détaché) et une richesse de couleurs qui rend notamment irrésistible le chatoyant divertissement de la Volupté, à l’acte III, avec ses trois magiques parties de flûte, sa sensuelle passacaille et ses sublimes ensembles pour sopranos et hautes-contre.

Regrettons cependant que la prise de son ait été effectuée dans un lieu fort vaste (l’arène du Grand Manège), à la réverbération longue, ce qui rend plus confuses les autres interventions du superbe chœur de Namur. Regrettons aussi que les récitatifs soient si constamment dirigés, même lorsqu’ils ne font pas appel à l’orchestre, ce qui atténue l’impact des « scènes ». Et regrettons enfin l’emploi anecdotique du français « à l’ancienne » (le « roi » devient le « rouai », le « cœur », le « cûr »), qui paraît embarrasser les chanteurs.

Les dames en pâtissent, particulièrement l’Aurore acide et pincée d’Ema Nikolovska, à l’accent exotique, et la Dorine de Lore Binon, à l’élocution évasive. Déborah Cachet s’en sort mieux, surtout lorsque son rôle devient plus pathétique, lors de ses affrontements avec Borée ou de sa poignante agonie, creusée de silences – ailleurs la partie semble trop grave pour elle. Reinoud van Mechelen se montre aussi solairement suave que d’habitude, et souvent plus concerné d’un point de vue dramatique que ses partenaires, tandis que Lisandro Abadie campe un Borée viril et plein d’humanité et que les petits rôles sont impeccablement tenus (parfaite Prêtresse de Gwendoline Blondeel).

Une intégrale recommandée, malgré certaines options discutables.


O.R