John Graham-Hall (Albert), Patricia Johnson (Lady Billows), Felicity Palmer (Florence), Elizabeth Gale (Miss Wordsworth), Richard van Allan (Budd), Alan Opie (Sid), Jean Rigby (Nancy), London Philharmonic Orchestra, dir. Bernard Haitink, mise en scène : Peter Hall.

Opus Arte OA1375D. 1985. Distr. DistrArt Musique.

C’était en 1985, bien avant que les metteurs en scène osant tout et n’importe quoi s’imposent, même à Glyndebourne. « A vintage production », annonce la couverture du DVD Opus Arte (qui s’inscrit après deux éditions antérieures, en cassette vidéo, puis en DVD Warner) et c’est vraiment cela. Ajoutons qu’il s’agit là de la seule version disponible en vidéo, ce qui fait qu’on ne peut que la fêter, même si l’image, à la définition un rien floue, pas vraiment HD, accuse son âge.

Albert Herring, adapté du Rosier de Mme Husson de Maupassant avec une verve et un esprit irrésistibles par Benjamin Britten et Eric Crozier, est un concentré de finesse, tout en portraits incisifs et images un rien kitch d’une société victorienne prise au piège de la respectabilité, et donc propre au sarcasme autant qu’au sourire complice.

C’est bientôt le 1er mai, et la bonne société de Loxford entend le célébrer en élisant comme chaque année une Reine de Mai, vertueuse cela va sans dire. Las, aucune des jeunes filles de la petite ville n’est jugée respectable par le comité et la redoutable Florence Pike, la gouvernante de Lady Billows, la riche et impérieuse présidente et donatrice des 25 souverains de récompense prévus comme prix de la vertu. On se rabat sur Albert Herring, un grand dadais, qui vit et travaille dans les jupes d’une mère autoritaire en vendant des primeurs. En matière de simplicité et de décence, il remplit toutes les cases. À la fête, Sid, le garçon boucher, a l’idée de mettre du rhum dans la boisson du récipiendaire, vite secoué. À la nuit, rentré chez lui, Albert entend les moqueries de Sid, et s’en va faire la tournée des pubs. Le lendemain, affolement général, le Roi de Mai a disparu, mort accidentellement peut-être. Il réapparaitra, déniaisé et désormais capable, sans battre sa coulpe, d’imposer ses volontés à sa mère comme de clouer son bec à la vieille Lady.

Pas question ici de dévoyer le sujet, la production est l’évidence théâtrale même. Car Peter Hall, maître en Shakespeare à Londres, savait admirablement caractériser les mondes petit-bourgeois, bien mieux que ceux des héros wagnériens aux destins surdimensionnés. Il offrait ici une comédie drôlatique parfaite, et l’un des meilleurs exemples d’opéra-comique du XXe siècle en vidéo, tendre et lucide, piquant et « so british », qu’on peut regarder comme une sorte d’anticipation des séries du type Downton Abbey. Intimité du salon de Lady Billows, boutique des Herring qu’on pourrait trouver encore dans ces charmants villages figés dans le temps qui entourent Glyndebourne, proclamation du lauréat devant un chapiteau fleuri, dressé devant l’église, on ne résiste pas à cette Angleterre de tradition.

La distribution n’y est pas pour peu, qui sans afficher de grands noms, offre une équipe à son meilleur : trognes et mises, grogne et ridicule assumé, Patricia Johnson est une irrésistible Lady B, tandis que Felicity Palmer compose une Florence matrone irrésistiblement drôle. Elizabeth Gale est une institutrice fofolle, Alan Opie un Sid content de lui, Patricia Kern, Jean Rigby, Alexander Oliver, Richard Van Allan, et les petites pestes angéliques complètent à merveille.

Quant à John Graham-Hall en benêt déniaisé, il fait merveille, de présence, d’incarnation, de vérité, tout comme Bernard Haitink à son plus sensible pour retrouver le ton de comédie doucereuse et pincée qui fait le charme de ce pamphlet aux sonorités d’une liberté et d’une ambiguïté permanentes, que parcourt explicitement l’esprit du Falstaff de Verdi. Sourire garanti.

 

P.F