Reinoud van Mechelen (Atys), Marie Lys (Sangaride), Ambroisine Bré (Cybèle), Philippe Estèphe (Célénus), Romain Bockler (Idas), Gwendoline Blondeel (Doris, Iris), Olivier Cesarini (Sangar, Phobétor, le Temps), Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset.

Château de Versailles-Spectacles (3 CD). 2023. 2h53. Notice en français. Distr. Outhere.

Depuis plus de vingt ans, Christophe Rousset poursuit, sans hâte, une intégrale des opéras de Lully soumise au bon gré d’éditeurs divers (Ambroisie, Naïve, Aparté, CVS, etc.). Comme il l’admet dans son introduction, il a jusqu’ici différé le moment de graver Atys (1676), qui, dès 1986, donna lieu à un spectacle mythique du regretté Jean-Marie Villégier, dirigé par William Christie (lequel l’a plusieurs fois enregistré : sur disque pour Harmonia Mundi en 1987, sur DVD pour FraMusica en 2011) – spectacle auquel Rousset participait lui-même en tant que claveciniste. Il a cependant bien fallu relever le gant, d’autant que, depuis, Hugo Reyne a livré sa propre version (Musique à la Chabotterie, 2010) et Alexis Kossenko annoncé la sienne !

Mettant toutes les chances de son côté, Rousset a opté pour le studio plutôt que la captation sur le vif. Il a fort bien fait : la qualité superlative de l’enregistrement rend justice à ses deux principaux atouts – l’Atys de Reinoud van Mechelen et le continuo. Sans rien perdre de son aigu séraphique ni de son enveloppante douceur, la voix de la haute-contre flamande a beaucoup gagné en rondeur, notamment dans le bas-médium, ce qui lui confère l’autorité nécessaire à l’acte IV. D’une bouleversante éloquence, Mechelen pare de mille teintes et sentiments son monologue (III, 3) comme son suicide (« Je suis assez vengé : vous m’aimez, et je meurs »). Les six membres de la basse continue relaient ces accents avec une subtilité infinie : les « petits airs » brillent comme des joyaux, les ostinatos de l’acte I sont proprement envoûtants. Trop, diront les grincheux. Déjà, le fils de Madame de Sévigné se plaignait, lors de la création, de l’excessive splendeur des premières scènes unissant Atys à Sangaride, laissant peu à désirer pour la suite – ce que cette version d’emblée poignante tend à confirmer.

Si l’on peut préférer Marie Lys dans des rôles moins centraux, la justesse de son expression comme de ses ornements en fait une Sangaride des plus séduisantes. Ajoutons-y une merveilleuse Gwendoline Blondeel, piquante lorsqu’il le faut, et un chaleureux Romain Bockler (qui gagnerait à se montrer plus sarcastique, au début) et l’on aura une idée de la beauté des ensembles unissant les quatre jeunes gens. Tout aussi délicieux s’avère le quatuor des dieux du rêve (mention spéciale aux ténors Kieran White et Nick Pritchard), même si la fin du Sommeil est gâchée par un Songe funeste approximatif. Avec un orchestre moins important d’un bon quart que celui de Christie, les divertissements de Rousset sonnent moins voluptueux (et moins drôle, concernant celui des fleuves), mais la superbe prestation du Chœur de Namur confère une intensité particulière au finale.

C’est au cours de ce dernier acte que Philippe Estèphe et Ambroisine Bré trouvent leurs marques. Le premier apparaît trop claironnant dans ses interventions liminaires (la colère lui convient mieux) et la seconde prudente, pas assez libérée, lors du fameux « Espoir si cher et si doux ». Dotée du même petit grelot que celle de Guillemette Laurens, sa voix soyeuse ne possède pas encore l’étoffe réclamée par la redoutable déesse.

Un rodage en scène a peut-être manqué à certains interprètes pour que cette version devienne une référence : telle quelle, elle s’avère la plus musicale lecture, sinon la plus théâtrale, de ce que l’on surnommait « l’opéra du roi ».

 

O.R