Yuriy Mynenko (Aci), Max Emanuel Cenčić (Ulisse), Pavel Kudinov (Polifemo), Julia Lezhneva (Galatea), Sonja Runje (Calipso), Narea Son (Nerea), Armonia Atenea, dir. George Petrou.
Parnassus Arts Production S003 (3 CD). 2022. Notice en anglais. Distr. Parnassus.

Le voici enfin, ce Polifemo (1735) qui marqua l’apogée de la concurrence entre Porpora et Haendel ! Légendaire, la partition l’était non seulement à cause de son importance intrinsèque mais aussi grâce à l’aura dont elle bénéficiait, au moins depuis le film de Gérard Corbiau, Farinelli (1994), qui en popularisa un extrait : le tube « Alto Giove » – peut-être l’un de ces fameux airs avec lesquels Farinelli soigna, durant près de dix ans, la neurasthénie de Philippe V d’Espagne.

Rappelons brièvement le contexte. En 1733, le prince de Galles Frederick, afin de marquer son opposition au roi George II, son père, protecteur de Haendel, suscita la création d’un Opéra de la noblesse richement doté, dont la direction musicale fut confiée à Porpora. Dès la fin de l’année 1733, ce dernier donna une Arianna a Nasso à laquelle répliqua Haendel avec son Arianna in Creta, mieux reçue. Pour le second round, Porpora contrattaqua en choisissant le thème d’Acis et Galatée, traité à plusieurs reprises par Haendel, et, notamment, pour une sérénade donnée au Théâtre de Haymarket en 1732. Ce choix était d’autant plus cruel que Porpora s’était désormais emparé du Haymarket, ainsi que de la plupart des chanteurs qu’avait fait connaître le Saxon : la basse Montagnana (qui, après avoir incarné le Polyphème de Haendel, devenait celui de Porpora), la soprano Cuzzoni (Galatea), le castrat alto Senesino (Ulisse) et la contralto Bertolli (Calipso).

A ces transfuges haendéliens s’ajoutait, dans le rôle d’Acis, une carte maîtresse : le divin castrat soprano Farinelli, élève de Porpora, tout juste trentenaire et auréolé d’une gloire européenne. Les dames de Londres raffolant de Farinelli (« one God, one Farinelli », se plaisaient-elles à répéter), le médiocre librettiste Rolli concocta un livret propre à le mettre en valeur – au détriment, il faut le dire, de ses partenaires. Mais Porpora, qui connaissait son métier, le transcenda avec une partition particulièrement riche, se bonifiant d’ailleurs au fil des actes, multipliant les récits accompagnés, très dramatiques (sublime, celui de la scène 2 de l’acte III !), sans jamais sacrifier la virtuosité vocale, ni l’orchestration, d’un exquis raffinement.

Petrou, à la tête d’une Armonia Atenea inspirée, aux solistes aguerris, en donne une lecture incandescente, parfois un peu rapide, mais toujours juste dans son rendu du climat bucolique (abondance des pastorales avec flûtes, cors et basson, évoquant la patrie du compositeur, Naples), du pathos (mort d’Acis) comme de l’humour (ivrognerie de Polyphème). La distribution s’avère impressionnante, bien que le timbre de l’alto  Runje manque de charisme. De même, nous apprécions modérément certaines sonorités geignardes de Lezhneva (acte I, duo du II), que compense sa sidérante virtuosité. Et si les extrêmes mettent parfois en péril Mynenko, il campe un Acis musical et charnel, moins éthéré que celui de Jaroussky (lequel a gravé la plupart de ses airs). Cenčić assure avec panache, en Ulysse aux impérieux éclats guerriers, la soprano Son dessine une délicieuse Nerea tandis que la basse Kudinov donne vie à un impayable Cyclope, éructant et titubant. Un apport majeur au catalogue de l’opéra « napolitain ».

O.R