Éditions Universitaires de Gdansk, 2023.


Quatrième et dernier volet de la monumentale histoire de la réception de Wagner et de son œuvre en France. La première partie publiée en 2013 aux Éditions universitaires de Gdansk sous le titre Le musicien de l’avenir (1813-1883) fut suivie par Du ressentiment à l’enthousiasme (1883-1893) et La Belle Époque (1893-1914) publiés par l’éditeur lyonnais Symétrie. Aujourd’hui est venu le temps de la Chronique d’un nouvel âge d’or (1919-1939), publiée à nouveau aux Éditions universitaires de Gdansk.

Le projet éditorial demeure : s’appuyer sur la presse et les critiques d’époque pour offrir la narration factuelle et contrastée de cette non-sérénité qui caractérisa longtemps les rapports houleux de la France au compositeur saxon et à son œuvre. Le raz-de-marée des décennies 1890 et 1900 vit les œuvres de Wagner envahir les scènes françaises et s’y installer durablement, ne serait-ce que pour satisfaire les attentes d’un public nouvellement converti, et gonfler les recettes d’une billetterie devenue de ce fait très lucrative. Nombre de tableaux bien venus reprennent d’ailleurs les chiffres, impressionnants : à la déclaration de la guerre, le 3 août 1914, on comptabilisait 225 Walkyrie, 106 Maîtres chanteurs, 72 Tristan et Isolde à l’Opéra de Paris.

La Grande Guerre marque un temps d’arrêt absolu. Wagner est l’ennemi autant que le Kaiser et c’est l’occasion de raviver les polémiques entre pro et anti, éternellement renouvelées, et bêtement répétitives.

Mais les vingt ans qui suivent la Victoire voient le retour lent, puis triomphal, des neuf opéras déjà inscrits au répertoire de l’Opéra de Paris, Le Vaisseau fantôme, curieusement négligé jusque-là, ne s’y inscrivant qu’en 1937. Après Lyon en 1920, La Walkyrie rouvre la voie à l’Opéra de Paris en 1921, suivie de Siegfried et de L’Or du Rhin la même année, tandis que Lohengrin retrouve d’abord la capitale au TNP de Firmin Gémier au Trocadéro, avant de regagner les planches du Palais Garnier, l’année suivante. Suivent Les Maîtres chanteurs en 1923, Parsifal en 1924, Le Crépuscule des dieux et Tannhaüser en 1925… Tristan patiente avec trois soirées de l’Opéra de La Haye en 1926, et une de l’Opéra de Vienne en 1928 avant de revenir enfin à la troupe (Paul Franz, Germaine Lubin) et aux français en février 1930.

Le Théâtre des Champs-Élysées n’est pas en reste, qui invite en 1921 les troupes de Turin et de La Haye pour deux séries de Tristan, l’Opéra-Comique monte Le Vaisseau et Tristan… et la province suit, quand elle ne précède pas Paris. Si l’Opéra ne revoit un Ring entier, son sixième, puis son septième, qu’en 1928 puis 1933, année Wagner oblige, Nancy, Strasbourg, Alger même (pour trois cycles en 1931), Bordeaux, Nantes, le Casino de Vichy et Marseille proposent leurs propres productions du cycle…

Au milieu des évocations parfois fascinantes de ces évènements marquants, qui montrent des différences d’approche critique parfois aussi incohérentes qu’aujourd’hui, malgré les noms de Samazeuilh, Chantavoine, de Curzo, Rebatet, Mistler… l’intérêt pour le lecteur est désormais de pouvoir mettre plus aisément des voix sur des noms, le 78 tours ayant assez bien rempli son rôle informatif.

Les équipes françaises, où rayonnent Georges Thill, Germaine Lubin, Jean-François dit Francisque Delmas, Germaine Hoerner, Marcel Journet, José de Trévi cultivent magnifiquement Wagner dans leur langue naturelle, tout en côtoyant les invités, prestigieux : Lauritz Melchior, qui partage avec Thill Parsifal face à Lubin en 1931, Frida Leider, Isolde en 1934 comme Kirsten Flagstad, en 1938, Lotte Lehmann et Maria Müller toutes deux Eva, Max Lorenz, Tristan pour Lubin et Karajan pendant la guerre, Josef von Manowarda, Alexander Kipnis, Herbert Janssen, Walter Kirchhoff, participent parfois à des versions mixtes de langue, et plus souvent à d’authentiques versions allemandes. Au pupitre, on croise André Messager, Philippe Gaubert, mais aussi Franz von Hoesslin et Karl Elmendorff, et sept ans de suite Wilhelm Furtwängler.

Bien que le volume 4 s’attache à la période d’avant 1940, Michał Mrozowicki s’est aussi penché sur l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, qu’il a divisée en trois phases : écarté (par la France), imposé (par l’occupant – avec le fameux Tristan de Karajan, Lorenz, Lubin), et dédouané (l’épuration en 1945-1946). Il s’est penché ensuite sur les années de Tristan, qu’il prolonge jusqu’à celles de Wieland Wagner en 1966-1972.

Par ailleurs, il évoque aussi dans le détail la grande décennie de L’Anneau de 1927 à 1937 et revient enfin sur les échos de la presse sur le Festival de Bayreuth, vu ainsi par la critique française (pas toujours tendre, et de plus en plus inquiète de la montée du nazisme en Allemagne et dans les esprits), de la réouverture en 1924 aux apparitions de Lubin en Kundry et Isolde, années 1938 et 1939. 

Ce pavé de 600 pages est passionnant, même s’il ne se lit bien sûr pas d’une traite, mais par plongées successives. Hors le formidable travail d’information ainsi réalisé (et ici achevé), il faut saluer bien bas qu’il soit le fait d’un universitaire polonais. Et puisque le professeur Mrozowicki s’est arrêté en chemin, laissant (sauf pour Tristan) inexplorée la période d’après-guerre, c’est l’occasion d’espérer que son flambeau soit repris pour célébrer le présence de l’œuvre de Wagner en France jusqu’à aujourd’hui ; il y a encore de la matière à publier, dont une partie est encore dans les mémoires du spectacle vivant. Un défi à relever d’urgence !

 

P.F

 

Note : Les presses universitaires de Gdansk n’étant pas diffusées en France, le Cercle Richard Wagner – Lyon (52 rue de la République 69002 Lyon) assure la vente de l’ouvrage, au prix de 40 € frais de port inclus.