Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Marseille a eu la bonne idée de donner La Veuve Joyeuse dans sa version française, plutôt qu’une énième Vie Parisienne ou une Chauve-Souris qui perd toujours de sa saveur à être donnée en traduction française. L’œuvre de Lehár n’est pas si fréquente sur les grandes scènes où ses origines françaises lui donnent pourtant une pleine légitimité. Dans une ville où l’opérette a encore droit de cité, grâce à la collaboration entre l’opéra municipal et l’Odéon, on ne pouvait trouver lieu plus adéquat pour accueillir la production de Jean-Louis Pichon, créée à Saint-Étienne l’année dernière. Malheureusement, la translation ne semble guère lui avoir réussi. Traitée dans le registre de la « comédie musicale » avec un décor à escalier uniformément bleu et des costumes évoquant un XIXe siècle finissant de fantaisie, le premier acte assez bavard manque singulièrement de rythme et de tonus, ce dont on aurait tendance à accuser une direction d’acteurs relâchée et une distribution renouvelée dont le naturel théâtral n’est pas la première qualité.

Dans le rôle-titre, Anne-Catherine Gillet manque un peu de tempérament pour incarner son personnage volontaire et désinvolte. Peu aidée par son costume d’écuyère de cirque au premier acte, la sensualité de son personnage lui échappe tout à fait et vocalement, elle paraît bien légère pour cette tessiture centrale et pour la csardas du duo. Peut-être un peu trop « grande dame » pour le rôle, son chant élégant et surveillé ne convainc que dans la Chanson de Vilja et dans la fameuse « Heure exquise ». Le Danilo de Régis Mengus souffre aussi d’un costume peu seyant qui tasse sa silhouette et d’une voix mal posée qui ne lui permettent pas de restituer le caractère aristocratique et l’arrogance désabusée de son personnage qui reste très piétonnier. Un peu plus convaincant le couple des amants « adultères », la Nadia de Perrine Madoeuf (à qui ne manque qu’un soupçon de chic) et le Camille de Coutançon de Léo Vermot-Desroches, jeune ténor haut perché au suraigu impressionnant, très juste aussi dans son rôle d’amoureux éperdu. C’est finalement du côté des petits rôles que se trouvent les prestations les plus convaincantes. Commençons par le duo farfelu formé par l’ambassadeur désopilant de Marc Barrard à qui son rôle presque entièrement parlé donne tout de même l’occasion de faire entendre son solide baryton dans les ensembles, et auquel le Figg faussement naïf de Jean-Claude Calon donne une réplique toute en finesse. Les deux prétendants, le D’Estillac de Matthieu Lécroart et le Lerida d’Alfred Bironien se révèlent particulièrement efficients et le chœur fort bien préparé apporte aux ensembles une excellente contribution. Parmi les rôles parlés, saluons l’excellente Olga de Perrine Cabassud et Jean-Michel Muscat, incarnant son mari trompé et aveugle. Le deux derniers actes dans un décor renouvelé et un peu moins dépouillé, sont moins tributaires des dialogues. Comme les numéros les plus célèbres de la partition s’y enchaînent presque sans solution de continuité, le spectacle trouve enfin ce rythme qui lui manquait et qui fait oublier les limites de la distribution vocale. Dans la fosse, après le petit trot du premier acte, Didier Benetti mène bon train les forces de l’orchestre et offre de beaux interludes délicatement orchestrés. La contribution chorégraphique qui s’intensifie alors, le petit chœur des grisettes particulièrement savoureux et le can-can endiablé du final finissent d’emporter le morceau et la représentation peut s’achever sur une note festive qui rattrape l’impression mitigée laissée par la première partie.

A.C