Présenté comme un spectacle destiné à « mettre en valeur la musique », la reprise du Chevalier à la rose de Christoph Waltz confirme l’inanité du débat actuel sur le caractère classique ou moderne d’une mise en scène, et prétendument respectueux de la musique ou non…

Un décor parfaitement lisse (fausses boiseries murales), un mobilier « d’époque » qui a l’air droit venu d’une célèbre enseigne suédoise et des costumes aux couleurs criardes (et accessoirement mal taillés, on ne dénombrera pas les plis disgracieux sur tout le vestiaire tailleur présenté ce soir) imposent un inconfort visuel que vient surligner une lumière zénithale blafarde, qui, par des jeux d’intensité, doit évoquer le cours de la journée. Ce spectacle « respectueux de la musique » s’exonère toutefois du respect scrupuleux des nombreuses didascalies au profit d’une direction d’acteurs néanmoins avisée. Le metteur en scène emprunte quelques éléments de jeu à la tradition comme le monologue de la Maréchale à la fin du I, et porte un regard plus contemporain sur les jeunes personnages dont il met en valeur les maladresses ou l’effronterie. Ochs est traditionnellement grossier, Faninal peut-être plus gesticulant qu’à l’accoutumée… et la scène de l’auberge tombe à plat : les murs s’ouvrent pour dévoiler une foule statique qui devient témoin des abus du Baron sur Mariandl… exit la « mascarade viennoise » qui visait à confondre le baron, il n’y a plus qu’un simple piège, le spectateur y perd la progression dramatique géniale inventée par Hofmannsthal. Voilà une mise en scène prétendument « classique » d’une fadeur antithétique avec l’idée même de classique résistant au temps !

Vocalement, le spectacle est de bonne tenue, particulièrement du côté de la jeunesse : la Sophie de Mélissa Petit est crédible, d’une voix homogène sur l’ensemble des registres (Sophie n’est pas qu’aigus !), elle file des pianos sensibles aussi bien qu’elle s’impose dans la conversation en musique. Michèle Losier (Octavian) présente une grande souplesse vocale qui ne cède en rien à la puissance que requiert la fougue juvénile du personnage, seules les couleurs manquent un peu de variété. Le baron Ochs de Matthew Rose joue la carte de la truculence : le texte est dit avec une fausse négligence vocale faisant entendre toute la grossièreté et le sans-gêne du personnage. On admire le débit et l’abattage, mais aussi la forme vocale (puissance, consistance du souffle…) qui rend la composition du personnage cohérente. La Maréchale de Maria Bengtsson est plus en retrait : chez elle encore manquent des couleurs, même si l’artiste nous gratifie de beaux pianos et la longue ligne straussienne demande un soutien plus constant.

En fosse, l’orchestre de la Suisse romande fait valoir la beauté de ses pupitres mais la direction de Jonathan Nott laisse pensif : choisissant des tempos très enlevés qui assurent le théâtre, le chef va parfois trop vite et ignore l’abandon viennois. La polyphonie bénéficie de la qualité des instrumentistes mais semble étouffée dans une pâte sonore où manque la mise en valeur du détail incisif straussien. La proposition est solide parce qu’elle se révèle attentive aux chanteurs, mais on est là au théâtre de boulevard et non dans l’analyse subtile et raffinée de cette comédie de mœurs.

Revenons à notre propos initial : sous couvert de produire un spectacle prétendument « respectueux de la musique », le Grand Théâtre de Genève s’est fourvoyé. Que signifie le respect d’un texte (musical ou littéraire) s’il n’y a ni lecture ni interprétation ? Une mise en scène – quelle que soit l’esthétique dans laquelle elle s’inscrit – n’a pas vocation à rassurer le spectateur mais à lui faire (re)découvrir l’œuvre.

 

J.C