Retour à Paris de A Funny Thing happened on the Way to the Forum, l’hilarante comédie musicale de Stephen Sondheim, créée à New York en 1962, et reprise au Lido 2 Paris pour les fêtes. Une réussite et une sortie musicale idéale à programmer d’urgence.

Paris et la France auront vraiment pris leur temps pour découvrir, fêter et bientôt adorer les œuvres de Stephen Sondheim, le maître du théâtre musical américain, disparu en novembre 2021. Bien sûr, tout le monde a vu West Side Story, le film de Robert Wise et Jérôme Robbins, puis l’une ou l’autre production scénique de la comédie musicale originale de 1957, dont les reprises marquent souvent le paysage sonore des fêtes de fin d’année, comme au Châtelet actuellement. Mais qui savait alors que Stephen Sondheim, s’effaçant derrière Leonard Bernstein, en était l’auteur des paroles ? Et qui se souvient aujourd’hui que A Funny Thing happened on the Way to the Forum avait été monté au Théâtre du Palais Royal en 1965, sans marquer aucunement l’époque ?

C’est à Jean-Luc Choplin qu’on doit l’intégration du nom de Sondheim aux habitudes de sorties parisiennes, lui qui, au Châtelet, proposa successivement la création de cinq d’entre ses plus belles réussites, encore inédites alors à Paris : A Little Night Music, Sweeney Todd, Sunday in the Park with George, Into the woods et Passion furent des triomphes entre 2010 et 2016. Le départ de Choplin du Châtelet laissa Paris orphelin de Sondheim, qui entretemps avait séduit l’Opéra de Toulon avec Folies en 2013, et trouvé l’occasion d’un concert pot-pourri à Lille en 2016. Le mouvement était lancé : tandis que Génération Opéra annonce Company en tournée à travers la France pour 2024, Jean-Luc Choplin, désormais en charge de la direction artistique du Lido 2 Paris, le légendaire cabaret des Champs-Elysées somptueusement rénové, revient à son compositeur fétiche avec la deuxième production parisienne de la célèbre - aux USA - comédie romaine qu’on a rebaptisée Le Forum en folie pour le cinéma.

Inspirée de Plaute, le grand auteur comique latin du IIe siècle avant notre ère, A funny thing est une pochade irrésistiblement drôle : ni miroir des émotions, ni passeport culturel, ni conte de fées - Sondheim a décidément abordé tous les genres - on s’y moque des travers d’une société romaine au moins aussi déjantée que la nôtre dès qu’il s’agit d’amour et de sexe. Pour définir l’intrigue, le mot loufoque est celui qui sied le mieux. Un esclave tente d’obtenir son affranchissement en favorisant les amours de son jeune maître avec une pensionnaire - encore vierge - du bordel voisin. Esclaves bons à tout faire, soldats aux ordres d’un Capitaine imbu de sa personne, parents prêts à tout pour obtenir les faveurs de l’autre sexe, tout est prétexte à rire. Et la réussite est totale, car on ne saurait résister à la verve du texte de Burt Shevelove et Larry Gelbart, à l’ironie et à la séduction des airs et des ensembles de Sondheim, à commencer par le premier, Comedy Tonight, qui sait ce que veut dire commencer un spectacle, comme à la production signé par Cal McCrystal, animée du tourbillon requis, de gags et aussi des plastiques sculpturales de ces dames de chez Lycus, qui rappellent le Lido d’avant. Le Lido 2 n’étant pas un vrai théâtre, pas question d’y jouer de la boîte classique avec décors, changements et rideaux, tout est exposé au regard. Tim Hatley a simplement créé trois maisons cylindriques mobiles en fond de plateau, qui suffisent à créer les lieux des quiproquos, avec la demeure du vieil Erronius qui a perdu ses enfants et les retrouve à la fin, celle de Hero (Josh St Clair), le fils de Senex (Patrick Ryecart) et Domina (Valérie Gabail, digne copie d’une Callas matrone), et maître de Pseudolus (le bondissant Richard Kind), meneur du jeu des tromperies et mensonges, et celle enfin qui abrite le bordel de Marcus Lycus (Martyn Ellis), et la jolie Philia, objet du désir de tous (Neima Naouri, digne de sa célèbre mère, sans en avoir encore tout à fait l’abattage). Ajoutez Hysterium, l’esclave de Senex, prêt, l’air bien sage, à toutes les compromissions (Rufus Hound), Miles Gloriosus, le capitaine bravache (John Owen-Jones, décapant), et les Proteans, choristes prêts à tout pour faire rire, et il suffit alors de laisser courir les cavalcades, déhancher les ensembles (Carrie-Anne Ingrouille excelle en cela), pour déclencher la joie. Rien de vertigineux, hors l’apparition époustouflante des filles-fleurs surgissant des dessous sur le plateau/ascenseur habilement conservé. Mélange des genres, assurément, où chacun donne son savoir-faire, sous la baguette pimpante de Gareth Valentine : c’est ça, la comédie musicale. Avec les subtilités et le sens narratif et musical inspiré d’un Sondheim - qui en la matière ira bien plus loin que cette première œuvre de 1962 - c’est plaisir garanti.  Vous avez deux mois pour en profiter !

 

P.F