Du XVIIe siècle au début du XIXsiècle, Naples fut l'un des plus grands centres lyriques européens, véritable fabrique de chanteurs et de compositeurs exportant ensuite massivement sa production artistique (auteurs, interprètes et œuvres) vers les cours européennes – à l’exception notable de la France. Ce répertoire foisonnant – et inégal – conserve encore quelques zones d’ombre tant la masse à manipuler est considérable. Paisiello compte parmi les compositeurs entre chien et loup, principalement connu pour avoir « aussi » (quoiqu’avant) écrit un Barbier de Séville, seule sa Nina a accédé à une petite notoriété parmi les initiés. Contemporain de Haydn, il est parfaitement représentatif du style classique nourri des accents galants et du savoir-faire mélodique italien. Il propose néanmoins une vocalité à la virtuosité contenue et fait preuve d’une réelle habileté pour conduire un propos dramatique à l’orchestre, jouant des contrastes d’écriture et d’harmonie.
 
L’Académie du Teatro di San Carlo de Naples a donc justement mis à l’honneur le compositeur avec Don Quichotte de la Manche pour ce concert programmé à l’Auditorium du Louvre dans le cadre de l’exposition « Naples à Paris ». Le chevalier à la triste figure débarque accompagné de Sancho dans une auberge où un groupe d’aristocrates soupire amoureusement. Ils reconnaissent Don Quichotte et, pour se divertir de leur pastorale sentimentale, décident de s’en amuser. Le héros n’en demandait pas moins puisqu’il prend la servante Carmosina pour sa chère Dulcinée et réclame sans cesse à Sancho de lui déclamer l’Arioste pour savoir comment Roland fit pour devenir « furieux ». La comédie alterne ainsi les hallucinations hyperboliques du chevalier errant, les manipulations des aristocratiques compères et commères, leurs soupirs, et quelques scènes bouffes dévolues à la roture : Sancho, Carmosina et l’aubergiste Cardolella. Jolis airs, nombreux ensembles de qualité et un orchestre qui fait mieux que jouer les utilités composent cette œuvre plus qu’agréable.
 
Les jeunes chanteurs de l’Académie du San Carlo forment une troupe homogène et engagée. Pas de mise en scène mais une habile mise en espace dont les interprètes s’emparent comme s’il s’agissait d’une représentation scénique, sans partition, avec une attention constante aux moindres gestes, expressions et une véritable adresse à leurs partenaires aussi bien qu’au public. Ainsi, on goûte d’abord l’ensemble, où pas une voix ne démérite, mais aucune n’écrase les autres non plus : la cohérence et l’équilibre du spectacle priment. Sun Tianxuefei prête son timbre lumineux, sa voix souple et sonore et son impressionnante diction italienne (intelligibilité et intelligences des récits !) à Don Quichotte. Convaincant musicalement et scéniquement, il fait aussi preuve d’une endurance remarquable tant le rôle est sollicité par la partition. Tamar Otanadze (la Comtesse) et Maria Knihnytska (la Duchesse) sont chacune impeccables dans leurs airs et dans les ensembles auxquels elles participent, on apprécie les graves et le velouté de la première, la lumière et l’homogénéité de la seconde. Maria Sardaryan (Carmosina) a le piquant requis pour jouer la servante rusée. Francesco Domenico Doto (Don Galafrone) assume la couleur brillante de son ténor parfaitement italien tandis que les deux barytons Maurizio Bove (Don Platone) et Sebastià Serra (Sancio Panza) embrassent avec bonheur ces rôles bouffes. À la tête d’une fraction de l’orchestre du San Carlo, Diego Ceretta propose une lecture théâtrale en diable, tenant instrumentistes et plateau vocal d’une main experte.
 
De grande tenue et d’un grand professionnalisme, la représentation est d’autant plus appréciable que les dimensions de l’œuvre et de la salle s’apparient parfaitement.

J.C