Jean-François Lombard (Acis), Elena Harsányi (Galatée), Luigi De Donato (Polyphème), Sebastian Monti (Apollon/Le Prêtre de Junon/Télème), Valeria La Grotta (Diane/Deuxième Naïade/Scylla), Francesca Lombardi Mazzulli (L’Abondance/Aminte/Première Naïade), Markus Van Arsdale (Comus/Tircis), Guido Loconsolo (Neptune), Silvia Spessot (une dryade), Davide Piva (un sylvain). Orchestre et Chœur du Mai musical florentin, dir. Federico Maria Sardelli, mise en scène : Benjamin Lazar (Florence, salle Zubin Mehta, 2022).
Dynamic 37971. 1h52. Notes et synopsis en italien et en anglais, sous-titres français. Distr. Outhere.

Dernier opéra achevé de Lully, la « pastorale héroïque » Acis et Galatée connaît enfin sa première parution en vidéo, qui se situe hélas bien en deçà du fameux Atys (Fra Musica, 2011) de William Christie/Jean-Marie Villégier ou encore du très réussi Cadmus et Hermione (Alpha, 2008) de Vincent Dumestre et Benjamin Lazar. De ce dernier, dont Le Bourgeois gentilhomme (2004) joué à la façon de 1670 avait suscité un vif intérêt, on était pourtant en droit de s’attendre à une mise en scène autrement plus inventive que cette illustration somme toute assez terne d’une œuvre pleine de vie et de contrastes saisissants. Un peu comme dans Phaéton (2018), on dirait que la magie de Lazar se dissipe lorsqu’il s’éloigne du travail de reconstitution historique pour nous replonger dans notre époque. Car dryades, sylvains et néréides sont ici vêtus à la mode contemporaine, avec, pour certains d’entre eux, un léger voile bleu pâle pour suggérer leur appartenance à un univers surnaturel. Ils évoluent sur un plateau exigu où, devant la toile de fond représentant une forêt profonde, une minuscule scène devient le théâtre de la mort violente puis de la métamorphose du berger Acis. Affublé d’une longue perruque ridicule et chaussant des lunettes dorées d’un kitsch consommé, Apollon est une figure caricaturale, à l’instar des dieux de pacotille Diane et Neptune. Très parodique, le prologue accuse d’ailleurs le caractère conventionnel de l’hommage adressé au Grand Dauphin, interprété dans le cas présent par Acis coiffé d’une couronne. En plus d’une direction d’acteurs rudimentaire, Lazar relègue le chœur dans la fosse, se privant ainsi de scènes de foules qui auraient pu ajouter une animation bienvenue. Seules échappent à cette déception visuelle les chorégraphies de Gudrun Skamletz, qui entremêlent avec beaucoup de finesse mouvements empruntés au ballet du XVIIe siècle et gestuelle résolument moderne.

À la tête d’un orchestre constitué d’instruments d’époque, Federico Maria Sardelli propose une lecture merveilleuse de vigueur, d’humour et de poésie. Grand défenseur de Vivaldi, dont il a déjà enregistré de nombreux opéras, le chef se passionne aussi depuis longtemps pour Lully, puisqu’il joua dès 1987 le Ballet des Saisons avec son orchestre Modo Antiquo. Comme dans Le Bourgois gentilhomme (Florence, 2009) ou le Te Deum (Mantoue, 2019), Sardelli se sert d’un bâton semblable à celui utilisé par Lully pour battre la mesure avec une fermeté toute martiale dans l’ouverture et quelques autres numéros. Succédant à Marc Minkowski (Archiv, 1998) et Christophe Rousset (Aparté, 2022), le chef italien apporte un supplément de sensualité et surtout d’intensité dramatique impossible à atteindre en studio. Il n’est besoin pour s’en convaincre que d’écouter la superbe passacaille avec solistes et chœur qui couronne la partition. En Acis, Jean-François Lombard fait entendre une superbe voix de haute-contre qui compense une gamme de couleurs quelque peu restreinte par une sensibilité à fleur de peau. Il forme un couple bien assorti avec la soprano allemande Elena Harsányi, au timbre pulpeux et à la diction soignée, qui s’avère fort émouvante en Galatée. Malheureusement, le reste de la distribution ignore complètement les règles les plus élémentaires de la prosodie française, à commencer par Luigi De Donato, Polyphème guère menaçant en dépit d’une solide voix de basse. Dans les trois rôles de Télème, Apollon et du prêtre de Junon, Sebastian Monti manque cruellement de nuances et malmène avec constance son instrument dans des passages aigus tonitruants. Valeria La Grotta s’avère nettement plus en situation en Scylla et Diane. Du reste de la distribution se détachent Francesca Lombardi Mazzulli en Abondance au chant soigné et Markus Van Arsdale en amusant Comus. En définitive, ce DVD longtemps désiré ne comble qu’une partie de nos attentes.

L.B.