Adriana González (Écho), Cyrille Dubois (Narcisse), Sahy Ratia (Cynire), Myriam Leblanc (l’Amour), Cécile Achille (Églé), Adèle Carlier (Aglaé), Laura Jarrell (Thanais), Lucie Edel (Sylvie), Le Concert spirituel, dir. Hervé Niquet.
Château de Versailles-spectacles 095 (2 CD). 2022. 1h42. Notice en français. Distr. Outhere.
 
Dans sa note d’intention, Hervé Niquet se réjouit d’avoir été incité à enregistrer cet « opéra maudit » : dernier ouvrage notable de Gluck, Écho et Narcisse n’a en effet jamais connu le succès, ni en son temps, ni de nos jours. Composé en parallèle à Iphigénie en Tauride, il en est l’antithèse : l’action y est minimale, le climat bucolique, la problématique uniquement amoureuse. Bien que baptisé « drame lyrique en un prologue et trois actes », il s’agit d’une pastorale rappelant davantage le climat du premier Orfeo que les tragédies écrites pour la France. De fait, le public français en boudera la création en 1779, ce qui amènera Gluck, ulcéré, à quitter pour toujours sa patrie d’adoption. Quant à sa résurrection scénique au Festival de Schwetzingen de 1987, enregistrée sur le vif par René Jacobs pour Harmonia Mundi, elle passera inaperçue – il faut dire que l’enregistrement a pâti des aléas du direct et d’une distribution peu francophone.
Le livret languissant de l’obscur Théodore de Tschudi explique pour part ces échecs : Écho aime désespérément Narcisse, qui s’est épris de sa propre image (et ne s’en rend compte que lorsque son ami Cynire le lui fait remarquer, aux deux tiers de l’œuvre !) ; elle en meurt mais Amour la ressuscite et unit les amants…
Gluck a cependant paré cette trame exsangue d’une partition à l’orchestration raffinée (l’ouverture « en écho », les bois magiques ouvrant l’acte III, les trombones menaçants de la fin du second acte) et mélodiquement fort riche qui, comme celle d’Armide (1777), emprunte aux œuvres italiennes inconnues des Français. C’est surtout à Paride ed Elena (1770) que fait penser Écho et Narcisse : non seulement parce que Narcisse y chante une parodie de l’air « Le belle immagini » de Pâris (« Je ne puis m’ouvrir ta froide demeure »), mais surtout parce qu’on y retrouve l’opposition entre un héros hédoniste, suave, et une héroïne à l’expression plus austère.
Ici, les protagonistes ont été parfaitement choisis : le timbre rayonnant, les accents pressants et le français si coloré (déjà une musique en soi !) de Dubois transfigurent les monologues de Narcisse, tandis que González prête à Écho sa voix sombre, chaude, homogène, à laquelle on ne peut reprocher qu’une élocution parfois brumeuse. Le rôle de Cynire, qui n’est pas sans rappeler celui de Pylade (il a été composé pour le même Joseph Legros) trouve en Ratia un ténor à la diction agréable mais au format modeste, tandis que les quatre amies d’Écho (réunies en un beau quatuor au début de l’acte II) affichent des timbres pointus trop semblables, que le cristallin Amour de Leblanc reste monochrome et le chœur un peu lointain.
Au premier acte (le moins réussi), on se demande ce qui est arrivé à Hervé Niquet : lui à qui on a souvent reproché un caractère emporté et presque brouillon se montre ici précautionneux – avec un Concerto Köln au format comparable à celui du Concert spirituel (mais aux cordes plus brillantes), Jacobs affichait davantage de vivacité. Niquet retrouve cependant toute sa verve au cours des deux derniers actes, dont il met habilement en valeur les brusques accélérations et coups de théâtre (comme la cérémonie funèbre, rappelant Alceste).
Notons qu’il rétablit le bref ballet final ainsi que la reprise de l’air d’entrée de l’Amour (et se passe, sans dommage, de clavecin) – nous offrant une première véritable intégrale globalement recommandable.
 

O.R