Hugo Laporte (le comte Almaviva), Andrea Núñez (Susanna), Leon Košavić (Figaro) et Kirsten MacKinnon (la comtesse). © Vivien Gaumand

Initialement programmée en mai 2021 mais reportée en raison de la crise sanitaire, cette production des Noces de Figaro a d’abord été donnée à Kansas City en 2016. Le metteur en scène en est le Britannique Stephen Lawless, dont l’un des principaux titres de gloire est le splendide Capriccio de Richard Strauss filmé à San Francisco en 1993 (DVD Kultur) et dont la suprême élégance donne une idée très juste de l’art de vivre dans la France de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Sans atteindre à une telle réussite, ces Noces de Figaro nous plongent dans l’Espagne de la même époque grâce à de superbes costumes et un décor évoquant la riche demeure du comte Almaviva, où l’on remarque surtout un immense arbre généalogique en bas-relief qui suggère les prétentions nobiliaires du propriétaire. La livrée que porte Figaro dès le premier tableau nous rappelle sa sujétion au maître contre lequel lui et toute la domesticité se rebellent dans les deux derniers actes. Jusqu’alors très respectueux du contexte sociohistorique de la pièce de Beaumarchais revisitée par Da Ponte, Lawless se permet de transformer la cérémonie du mariage : outre l’absence inexplicable de la comtesse pendant la noce, la marche et le fandango se dépouillent de leur grâce pour devenir ici l’expression brutale et sonore de la colère populaire qui couvait depuis le début de l’œuvre. Situé non pas dans les jardins mais plutôt dans le château réduit à l’état de ruines, le dernier acte consomme enfin la défaite du comte, humilié et couché au sol dans un état de prostration pour le moins étonnant. Si l’intrigue laisse évidemment présager les prodromes de la Révolution française, elle n’annonce pourtant en rien les violences qui se déchaîneront à partir de 1789. Cela dit, on aurait tort de ne retenir que cet aspect d’une mise en scène par ailleurs inventive et souvent amusante. Ainsi, Cherubino joue-t-il à cache-cache non pas dans un fauteuil, mais plutôt dans le lit de Figaro et de Susanna. Au moment d’entonner « Non più andrai », Figaro reprend du service en tant que barbier, s’empare de ses ciseaux et prend un malin plaisir – ainsi que son maître – à couper les cheveux du nouvel officier. Lawless finit cependant par lasser avec les innombrables entrées et sorties des personnages et perpétuels claquements de portes, semblant parfois confondre l’univers de Mozart avec celui de Feydeau…
 
Dans la fosse, Nicolas Ellis galvanise l’Orchestre Métropolitain dans une ouverture étincelante, qui traduit bien l’esprit de cette « folle journée ». Extrêmement soignée, sa direction cisèle avec bonheur les subtilités de la partition et se fait toujours attentive aux chanteurs. Assez prudent au premier acte, il pourrait conférer plus de vivacité aux récitatifs et abréger certains silences, mais il trouve vite ses marques par la suite et soulève l’enthousiasme. Le rôle-titre est brillamment défendu par le baryton croate Leon Košavić, au timbre séduisant, à la musicalité très fine et au jeu d’une belle aisance. L’autre triomphateur de la soirée est Hugo Laporte, qui rend bien la morgue du comte Almaviva et dont la voix d’une belle rondeur, mise au service d’un art du chant raffiné, est un régal constant. En comtesse, Kirsten MacKinnon impressionne par sa projection et les riches harmoniques de sa voix, qui rendent très convaincants « Porgi, amor » et « Dove sono ». Après un départ légèrement hésitant, la Susanna d’Andrea Núñez gagne peu à peu en assurance, jusqu’à déployer pleinement son instrument dans un air des marronniers d’une grande sensibilité. Katie Fernandez est pour sa part un Cherubino ravissant sur le plan vocal et particulièrement doué pour la comédie. Parmi les rôles secondaires, on note la Marcellina expansive de Rachèle Tremblay, la Barbarina bien chantante d’Emma Fekete, les Basilio et Curzio hauts en couleur d’Angelo Moretti et l’Antonio inénarrable de Matthew Li. En dépit du Bartolo dépourvu de grave de Scott Brooks et d’une mise en scène qui ne remplit pas toutes ses promesses, l’Opéra de Montréal peut en somme s’enorgueillir de cette ouverture de saison.
 
L. B


Rachèle Tremblay (Marcellina), Scott Brooks (Bartolo), Leon Košavić (Figaro), Andrea Núñez (Susanna) et Hugo Laporte (le comte Almaviva). © Vivien Gaumand