Stéphanie d’Oustrac (La Périchole), Philippe Talbot (Piquillo), Tassis Christoyannis (Don Andrès de Ribeira), Éric Huchet (Don Miguel de Panatellas), Lionel Peintre (Don Pedro de Hinoyosa), Thomas Morris (le vieux prisonnier/premier notaire/le marquis de Tarapote), Quentin Desgeorges (second notaire), Julie Goussot (Guadalena/Manuelita), Marie Lenormand (Berginella/Frasquinella), Lucie Peyramaure (Mastrilla/Brambilla). Orchestre de chambre de Paris et Chœur Les éléments, dir. Julien Leroy, mise en scène : Valérie Lesort (Opéra-Comique, 17 et 19 mai 2022).
Naxos 2.110756. Notes et synopsis en français, sous-titres français. Distr. Outhere.
Quinze ans après la dernière reprise de la version de Jérôme Savary, le public de la Salle Favart retrouvait La Périchole au printemps 2022 dans le spectacle extrêmement tonique de Valérie Lesort. Dans un dispositif scénique à la Chirico qui pivote pour évoquer successivement les différents lieux de l’action, les personnages portent des costumes très fantaisistes, en particulier à la cour du vice-roi du Pérou, où ministres, gentilshommes et demoiselles d’honneur arborent des tenues aux formes géométriques étonnantes. Les dames revêtent ainsi d’amples robes rigides en forme d’entonnoir très évasé dans lesquelles elles peuvent plonger jusqu’au cou… Pour ajouter une petite note de couleur locale, un lama de peluche sert de monture à Don Andrès au premier tableau, tandis que deux de ses congénères apparaissent plus tard à la fenêtre du cachot de Piquillo pour apporter un peu de réconfort au mari récalcitrant, puis pour cracher au visage du vice-roi. La metteuse en scène se joue en outre de l’identité de genre avec un Don Miguel travesti en marchande de pâtisseries et surtout avec les représentants des forces de l’ordre qui retroussent allègrement leurs larges jupes pour se métamorphoser en frénétiques danseuses de French cancan à la fin des premier et troisième actes. L’effet est pour le moins discutable, à l’exemple de plusieurs autres moments parasités par une agitation excessive. On pense notamment à l’air de la lettre, dont le caractère introspectif souffre ici de la présence de quatre danseurs qui viennent distraire du discours musical. L’opéra-bouffe de Meilhac, Halévy et Offenbach est pourtant suffisamment efficace sur le plan dramatique pour ne pas surcharger l’action de tels éléments superflus.
Tour à tour tendre, espiègle et farouchement déterminée, la Périchole de Stéphanie d’Oustrac impose un personnage fort mais en même temps très attachant. Si le grave et le médium demeurent d’une belle opulence, l’aigu souffre de tensions et a tendance à se détimbrer. Grâce à sa science de la prosodie, elle sait toutefois compenser cette relative usure vocale et offrir un portrait nuancé de son personnage, et ce, jusque dans une scène de griserie qui ne verse jamais dans l’outrance. À ses côtés, Philippe Talbot campe un Piquillo irrésistible de naturel et de simplicité qui atteint néanmoins à l’émotion dans un très touchant « On me proposait d’être infâme ». À une diction d’une clarté exemplaire, il joint un art du chant raffiné qui tire le maximum d’un instrument fort agréable, mais au grave peu sonore. Aussi convaincant dans l’expression de la concupiscence que du dépit amoureux, Tassis Christoyannis est un Don Andrès de grande classe qui, non content d’articuler parfaitement son texte chanté, fait presque complètement oublier ses origines grecques dans les dialogues. Très à l’aise scéniquement, Éric Huchet et Lionel Peintre s’entendent comme larrons en foire en Don Miguel bien chantant et Don Pedro pince-sans-rire. Outre les trois cousines sémillantes à souhait de Julie Goussot, Marie Lenormand et Lucie Peyramaure, Thomas Morris est un marquis de Tarapote et surtout un vieux prisonnier d’une grande cocasserie. En plus de bouger avec la discipline d’un corps de ballet, les membres du chœur Les éléments impressionnent par leur vigueur musicale. À la tête de l’Orchestre de chambre de Paris, Julien Leroy se révèle un remarquable interprète d’Offenbach, dont il sait rendre aussi bien l’esprit facétieux que l’exubérance ou la sensibilité à fleur de peau. Dans cet ouvrage au caractère aigre-doux, voilà un précieux atout qui contribue à faire de cette version un choix tout à fait recommandable.
L. B