Suzanne Jerosme (Cleofida), Florian Götz (Porus), Jorge Navarro-Colorado (Alessandro), Johanna Pommranz (Erixena), Leandro Marziotte (Gandartes), Josep-Ramon Olivé (Timagenes), Il Gusto barocco, dir. Jörg Halubek.
CPO 555 560-2 (3 CD). 2020. 3h. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
 
Créé en 1729 à Rome sur une musique de Vinci, Alessandro nell’Indie, le sixième livret de Métastase, rencontra un succès prodigieux (près de 70 compositeurs s’en emparèrent), qui ne fut pas pour rien dans la nomination de l’auteur au poste de poète de la cour impériale. Deux ans après, les plus fameux « Saxons » de la scène lyrique le mirent en musique : d’abord Haendel, en février 1731 à Londres, sous le titre de Poro ; puis Hasse, à Dresde en septembre, sous celui de Cleofide (nom original de l’héroïne, avec un « e »).
 
Haendel connut avec ce Poro l’un des triomphes de sa carrière. Pourtant, avec le recul, on peut trouver sa partition inférieure à celle de son cadet (et surtout, beaucoup plus éloignée de l’esprit du livret), avec un premier acte particulièrement poussif – impression que son unique intégrale en italien (celle de Biondi, 1994, Opus 111) n’a pas démenti.
 
En voici une seconde. Mais c’est une version bien particulière qui nous est ici proposée : la mouture réalisée pour l’Opéra de Hambourg en février 1732. Outre par le titre (devenu « Le Triomphe de la clémence et de la fidélité, ou Cléophis, reine des Indes »), l’ouvrage hambourgeois diffère du Poro original en quelques points : les récitatifs, désormais en allemand, sont dus à Telemann ; deux airs ont été rajoutés pour le traître Timagenes, qui n’en chantait aucun dans la version de 1731 (on ne nous dit pas d’où vient le premier, tandis que le second est emprunté au Siroe de Haendel) ; les rôles d’alto de Poro et Erissena ont été transposés respectivement pour basse et soprano ; plusieurs sinfonie ont été modifiées et le da capo du duo final du premier acte a disparu.
 
Que dire du résultat ? L’alternance d’allemand et d’italien ne favorise certes pas la tension dramatique de l’œuvre, d’autant que la direction de Jörg Halubek, probante dans les pages instrumentales, manque de diversité, de contrastes dans les airs, et que son petit orchestre de 23 musiciens semble étrangement composé : on y trouve d’exotiques luth et harpe mais une seule flûte (sur deux prescrites), qui s’invite trop souvent en doublure – et où a disparu le bourdon de « Son confusa pastorella »?
 
En conséquence, les chanteurs s’avèrent inégalement inspirés. Passons sur un ténor mollasson, incapable de faire face à la tessiture grave du conquérant Alexandre (son rival chez Biondi était du même acabit) ; passons aussi sur un Timagenes, une Erixena et un Gandartes élégants mais sans envergure. Le chant mordant, féroce (mais parfois imprécis) comme le timbre sombre du baryton Florian Götz conviennent au jaloux Poro, tandis que, dans le rôle-titre, la Française Suzanne Jerosme se montre tantôt captivante (dans le magnifique « Se il ciel », qu’enguirlande le beau violon solo d’Anaïs Chen), tantôt absente (dans l’air qui précède). Poro ne motive décidément guère les artistes : est-ce leur faute ou celle de l’œuvre ?

O.R