Thomas Dolié (Le Marquis) et Vannina Santoni (Grisélidis) au Corum (Montpellier). © Marc Ginot

La saison lyrique parisienne s’achève avenue Montaigne, avec la rare Grisélidis de Jules Massenet produite par l’incontournable Palazzetto BruZane au Théâtre des Champs-Élysées. Le compositeur et ses librettistes, Armand Silvestre et Eugène Morand, ont écrit un « conte lyrique » – la dénomination a son importance. Grisélidis est épousée par le Marquis passant à cheval dans les parages, plus tard celui-ci part en croisade, non sans avoir défié le Diable de faire vaciller la vertu de Grisélidis. Celle-ci est soumise à toutes les tentations et machinations du Diable mais n’y succombe pas, ce qu’elle a ensuite du mal à faire admettre à son croisé d’époux revenu au pire moment, c’est d’ailleurs lui qui, raisonnant à voix haute, la disculpera. Enfin, Sainte-Agnès surgit pour restituer à Grisélidis et au Marquis l’enfant qui leur avait été soustrait par le Diable. L’opéra s’achève dans une sublime apothéose sulpicienne à souhait, on ne peut échapper à la vision du bleu marial irisé d’une auréole d’or… On retrouve ainsi les éléments du merveilleux propres au conte : la part de magie (apparitions du Diable), l’opposition franche entre les bons et les méchants (le Diable accompagné de son épouse Fiamina), un défi imprudent qui met en place une quête (même si elle est passive) structurant l’intrigue, et une protectrice bienveillante aux pouvoirs divins qui résout les ultimes obstacles. On trouve aussi beaucoup d’humour, quelques habiles jeux de mots pour le Diable et son épouse, voilà des rôles à composer avec truculence au contraire du rôle-titre, d’un vide abyssal et agissant en permanence à la voix passive. En bref, Dieu soit loué pour le Diable, dont les scènes rehaussent l’intérêt d’un livret sinon bon pour les spectacles de patronage.
 
La musique est d’un Massenet de la meilleure eau. Si, avant l’audition, la dénomination « conte lyrique » nous met sur la piste d’une musique apparentée à celle de Cendrillon – composé en même temps que Grisélidis – on réalise bien vite notre erreur. Massenet ne se répète pas, il invente de nouveaux mondes, loin du XVIIIe siècle fantasmé du conte de Perrault. Il plonge cette fois sa plume dans l’encre bleue de la Méditerranée puisque l’action se situe en Provence dans le marquisat de Saluces (aujourd’hui en Italie). La musique affiche ainsi des couleurs chatoyantes, le phrasé est long (bien loin des carrures équilibrées de Cendrillon), l’orchestration riche, reposant sur un continuum de cordes. La vocalité est héroïque et suppose de grandes voix, Lucienne Bréval la « wagnérienne qui chantait Gluck », fut la créatrice de Grisélidis. À cet égard, la distribution réunit des artistes intelligents dotés d’un fin sens musical mais aux dimensions vocales plus modestes par rapport aux créateurs – à l’exception de la (luxueuse) Bertrade d’Adèle Charvet. Vannina Santoni compose un personnage touchant en dépit du rôle, si l’ambitus de ce dernier tend un peu les registres extrêmes, elle détaille sa ligne avec subtilité. Le Marquis de Thomas Dolié partage les mêmes qualités de conscience du texte et de sens du phrasé, délivrant les émotions habilement, même si la voix manque d’ampleur. Tassis Christoyannis a le diable au corps, cabot juste comme il faut, mais l’émission en arrière le prive de l’envergure méphistophélique du rôle. Antoinette Dennefeld déçoit en Fiamina, manquant de couleurs mais certes pas d’abattage. Julien Dran (Alain) manque de soleil dans la voix pour camper le rôle du berger, Thibault de Damas (Le Prieur) et Adrien Fournaison (Gondebaut) s’acquittent de leurs rôles. En revanche, Adèle Charvet dispose de moyens qui dépassent largement ceux requis pour son rôle, en outre elle chante avec style et intelligence.
 
À la tête de l’orchestre national Montpellier Occitanie, Jean-Marie Zeitouni dirige admirablement, avec un sens du théâtre parfaitement mesuré et une attention permanente aux chanteurs, un orchestre qui aurait pu bénéficier de quelques répétitions supplémentaires pour mieux faire valoir des qualités instrumentales réelles, avec plus de sensualité et de souplesse.

J.C.


Adèle Charvet (Bertrade) au Corum (Montpellier). © Marc Ginot