Philippe Talbot (Azor) et Julie Roset (Zémire). © Stefan Brion

André-Ernest-Modeste Grétry, compositeur et musicien liégeois de naissance, fit ses armes en Italie, aussi bien à l’écoute de l’opéra buffa qu’attentif aux leçons de contrepoint du père Martini, avant de gagner Genève puis enfin Paris. Là, il connaît le succès en écrivant des opéras et opéras-comiques « du côté de la reine » – dans le style italien – mais en les adaptant aux contingences de la langue française, soit en réduisant l’ornementation des airs, difficilement compatible avec l’intelligibilité du texte. Compositeur aussi inspiré que doué pour saisir les attentes du public parisien, Grétry utilise habilement sa gloire parisienne pour ensuite exporter et diffuser sa musique à travers l’Europe. Un succès alimentant un autre, Grétry jouit d’une situation de prestige, parachevée en 1774 quand la reine Marie-Antoinette le nomme directeur de sa musique. La carrière des honneurs ne cesse plus, à la Révolution il participe à l’établissement des nouvelles institutions musicales, notamment comme inspecteur du Conservatoire de Paris créé en 1795, puis sa gloire se maintient sous l’Empire, tant sa musique bénéficie d’un succès durable. Riches en mélodies gracieuses facilement mémorisables, certains airs deviennent mêmes des objets communs, isolables et réutilisables – de véritables timbres – devenant sonneries de fanfare, mélodies de chansons.

Zémire et Azor est une comédie-ballet écrite sur un livret de l’encyclopédiste Jean-François Marmontel, créée en 1771 au château de Fontainebleau. Elle transpose dans un Orient convoqué uniquement pour être un décor coloré, l’histoire du conte de La Belle et la Bête. Œuvre charmante, sensible, alternant les airs caractérisés (Sander ou Ali, dans la colère, la peur ou le désespoir), les ensembles, les airs mettant en valeur l’habileté des rôles principaux, sa musique en est délicate, bien faite et l’ensemble a ce qu’il faut de théâtre pour ne pas ennuyer. Les dialogues parlés sont en alexandrins, ce qui ajoute une difficulté au travail de déclamation et un surcroît de musique aux oreilles du spectateur.

Le spectacle proposé par l’Opéra Comique brille avant tout par une exécution musicale qui rend justice à la distinction, à la clarté et à la comédie du sentiment de l’œuvre de Grétry. À tout seigneur tout honneur, c’est d’abord le maître d’œuvre musical (et des lieux) qu’il convient de saluer. Louis Langrée propose une véritable lecture de cette musique, soignant les dynamiques et les contrastes toujours maintenus dans le cadre d’une musique qui se pense avant tout comme un discours, mais où les élans du cœur – articulés, exprimés et adressés – trouvent une place de choix, et les phrasés sont raffinés sans jamais tomber dans l’affèterie ou dans la préciosité dont peut parfois être affublée la fin du XVIIIe siècle dans une injuste caricature. Enfin, le chef tient son orchestre et le plateau avec une autorité remarquable et souple qui plaît, instruit et émeut, voilà Marmontel qui nous parle ! On regrettera simplement que l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Écurie ne soit pas tout à fait à la hauteur de son chef, quelques « canards » propres aux instruments anciens et défauts de justesse bridant les efforts de couleur.

La distribution est dominée par le couple éponyme. Julie Roset (Zémire) impressionne par la délicatesse de son style, la sûreté de ses moyens, la souplesse de la ligne, un bas médium riche, et un timbre dont la rondeur fait merveille. Philippe Talbot (Azor) est un véritable haute contre, l’aigu percutant et clair, il soigne la ligne pour révéler toute la sensibilité de son personnage d’apparence monstrueuse. Marc Mauillon (Sander) réussit bien dans son personnage de père éploré puis autoritaire, il fascine par l’évidence du verbe, Sahy Ratia (Ali) joue parfaitement la comédie dans son rôle de valet, la partition lui réserve une partie un peu grave qui empêche la voix de bien se projeter, sauf dans l’aigu où l’on perçoit un joli sens du legato. Comme le metteur en scène s’en est expliqué par maints truchements, il aime que le texte soit « surjoué », nous porterons donc le blâme sur lui, si la déclamation des vers – pourtant plutôt bonne globalement – sombre régulièrement dans une emphase qui nuit au propos (tout le contraire de ce que propose la direction musicale).

Ça n’est, hélas, pas le seul blâme qu’on peut adresser au metteur en scène qui semble avoir ignoré l’œuvre pour proposer ses propres marottes. Ce qui était hilarant et bienvenu dans son récital emphatique lors du spectacle de réouverture de l’Opéra Comique, le travestissement caricatural, devient un ajout ennuyeux et sans intérêt. Les chanteurs-acteurs sont livrés à eux-mêmes, dans une absence totale de travail de l’adresse – que ce soit aux autres interprètes ou au public. Enfin, les décors semblent pâtir d’une restriction budgétaire massive (qui n’est hélas pas improbable) tant les trois murs sont pauvres, représentant des buis taillés (à la serpe). Seuls les costumes enchantent l’œil, notamment la superbe robe de Zémire devenue hôte d’Azor, brodée par la maison Lesage, dont le directeur artistique Hubert Barrère signe les décors, assisté de Citronelle Dufay, et les costumes de la production. Grétry homme de théâtre fin et plein d’esprit méritait mieux, heureusement le musicien a de quoi se réjouir.

J.C.


Sahy Ratia (Ali) et Marc Mauillon (Sander). © Stefan Brion