Riders to the sea. ©️ Yves Renaud
Fruit de la collaboration de l'Opéra de Montréal, de la compagnie BOP (Ballet-Opéra-Pantomime) et de l'Orchestre de chambre I Musici de Montréal, ce programme double d'une heure trente marque la reprise de l'activité lyrique au Québec après dix-huit mois d'interruption forcée. Pour ce retour en salle, le chef-d'œuvre de Ralph Vaughan Williams est suivi de la création du Flambeau de la nuit d'Hubert Tanguay-Labrosse, qui assure également la direction musicale. Les solistes sont tous membres de l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal, à l'exception de la mezzo Alysson McHardy, déjà entendue notamment en Sœur Helene du mémorable Dead Man Walking (2013). D'une âpre beauté, le spectacle possède une grande unité, car ses deux volets proposent autant de poignantes méditations sur le thème de la souffrance de figures maternelles dont les enfants périssent en mer. Dans une scénographie minimaliste où, en plein milieu du plateau, une petite scène inclinée représente la modeste maison de Maurya (Riders to the Sea), puis une frêle embarcation (Le Flambeau de la nuit), Édith Patenaude a réalisé une mise en scène sobre et dépouillée qui jamais ne distrait de l'essentiel, soit l'aspect réflexif de ces ouvrages à l'action très réduite.
Dans Riders to the Sea (1937), manifestement répété avec beaucoup de soin, le chef sait créer une atmosphère oppressante et bien mettre en avant les passages particulièrement expressifs des bois et des cordes. D'une grande dignité, Allyson McHardy est une mère bouleversante dans sa douleur contenue et sa résignation finale, servie par une voix richement timbrée. Ses filles Cathleen et Nora trouvent en Andrea Núñez et Sarah Dufresne deux jeunes artistes aux moyens déjà épanouis qui jouent de surcroît avec un parfait naturel. Malgré la brièveté de son rôle, le baryton Geoffrey Schellenberg fait très bonne impression en Bartley, le dernier des fils de Maurya qui connaît le même sort tragique que ses frères aînés. Le chœur BOP est remarquable d'homogénéité, mais son faible volume sonore déconcerte à la fin de l'ouvrage.
Sur un livret d'Olivier Kemeid, Le Flambeau de la nuit présente la traversée agitée d'une mère et de son enfant qui fuient une ville en flammes. Douée d'une vision quasi surnaturelle, l'enfant guide la nochère au milieu de la nuit, mais est englouti dans les flots avant d'atteindre la rive. La fable n'est pas sans analogie avec Curlew River de Britten, dont la compagnie BOP avait d'ailleurs donné une superbe interprétation lors de son spectacle inaugural en 2013. Très accessible et empreinte de lyrisme, la partition de Tanguay-Labrosse réserve la première place au chœur, qui semble ici décuplé. Si la poésie est globalement bien mise en valeur, on peut s'étonner du traitement variable réservé au e muet, dont l'accentuation semble aléatoire. Face à la nochère d'Allyson McHardy, qui se situe sur les mêmes cimes que sa Maurya, Sydney Frodsham fait un peu pâle figure. Si elle incarne avec sensibilité le rôle de la mère, la voix atteint vite ses limites et le français manque de clarté. Après le court monologue (non chanté) de l'enfant, sa déploration finale tombe un peu à plat, d'autant plus que l'œuvre se termine de façon plutôt abrupte. Quoi qu'il en soit, il convient de saluer la création de cet ouvrage aux mérites évidents et la haute tenue d'un spectacle exigeant qui a attiré un vaste public.
Louis Bilodeau
Le Flambeau de la nuit. ©️ Yves Renaud