Jarrett Ott (Oreste) et Julien Behr (Pylade). ©️ Sébastien Mathé / Opéra National de Paris
À celles et ceux qui voudraient découvrir les splendeurs de la tragédie lyrique, creusant l’abîme de ces dilemmes qui déchirent le cœur et la raison des personnages, magnifiant une langue française entre récitation et séduisante mélopée, dosant les énergies avec mesure pour mieux libérer la puissance de l’équilibre classique… il faudra passer son chemin car la reprise de la production – désormais historique – de Krzysztof Warlikowski n’offre rien de tout cela. Pourtant la mise en scène laisse la place à l’introspection en plaçant Iphigénie dans une maison de retraite, ressassant ses souvenirs, souffrant avec eux, encore déchirée par la douleur des années après cet étrange mariage montré en fond de scène et la violence dont elle a été victime. La confrontation avec le destin, et les choix qu’il a imposé à Iphigénie, est ainsi d’autant plus saisissante que l’on voit le personnage engoncé dans univers dérisoire, resserré entre quatre murs (des douches aux lavabos), contrepoint pitoyable aux coups du sort de sa jeunesse. Mais ce que la mise en scène pouvait rendre possible, la réalisation musicale l’a immédiatement invalidée.
Toutefois, à ceux qui ont bien voulu renoncer à l’ombre et à la lumière, à la subtilité et à la finesse était offerte une représentation, certes au premier degré, mais pas sans plaisir. En effet, Thomas Hengelbrock dirige avant tout une soirée de théâtre : sonore et énergique, l’orchestre assure le drame, les tempos sont enlevés et les contrastes parfois taillés à la serpe… mais tout cela fonctionne, on se laisse happer par ce déferlement d’énergie un peu excessif en mettant de côté les rêves de couleur et le souci du détail. Du côté des chanteurs on observe la même solidité vocale, à commencer par Tara Erraught, qui fait ses débuts à la fois dans le rôle et à l’Opéra de Paris. Si l’émission manque de netteté, le timbre est séduisant et la mezzo-soprano irlandaise ne s’économise à aucun moment. Soutenant du début à la fin l’intérêt pour le drame, elle parvient même à une grande émotion dans son dernier air (« D’une image, hélas trop chérie »). L’Oreste de Jarrett Ott est lui aussi bien portant : un beau timbre bien projeté, de la puissance, et de la conviction dans le malheur permettent au rôle de fonctionner. Ces deux interprètes font preuve d’une grande application dans la prononciation française, même si elle manque d’idiomatisme. Problème qui ne se pose pas à Julien Behr, Pylade efficace, à la voix sourde et percutante. Plus véhément que réconfortant pour son ami, il s’inscrit dans la même dynamique que ses partenaires de scène. Le Thoas de Jean-François Lapointe est le seul à pousser un peu trop loin cette efficacité théâtrale, la voix est sonore, le timbre intéressant, mais le cri n’est jamais loin et le roi des Scythes n’a pas besoin de ça pour être sanguinaire ou effrayant. Marianne Croux (Diane et la première prêtresse), Jeanne Ireland (la deuxième prêtresse et une femme grecque), et Christophe Gay (un scythe et un ministre) complètent ce plateau bien chantant sans le dépareiller. Seuls les chœurs se distinguent par une contre-performance : disposés dans les loges de part et d’autre de la fosse d’orchestre et masqués, on attribuera les (nombreux) décalages et les fausses notes à ces conditions matérielles.
Même si chanter fort ne fait pas tout, cette reprise d’Iphigénie est une bonne soirée de répertoire, sans étincelles mais cohérente. Après tout, l’opéra peut aussi être un divertissement.
Jules Cavalié
À lire : notre édition de Iphigénie en Tauride : L'Avant-Scène opéra n° 62
Tara Erraught (Iphigénie). ©️ Sébastien Mathé / Opéra National de Paris