
Le Nain, vue d'ensemble. Photo OnP/E. Mahoudeau.
Le couplage du Nain avec L’Enfant et les sortilèges est une affaire qui marche : une toile de fond littéraire (Wilde et Colette), deux traitements musicaux différenciés à trois années d’intervalle (1922 et 1925), deux visions de l’enfance – l’une cruelle, l’autre poétique. La production mise en scène par Richard Jones et Antony McDonald en 1998 et reprise cette année par Isabelle Cardin renforce cette familiarité par un rideau de scène commun aux deux ouvrages et faisant se côtoyer les portraits de Zemlinsky/Wilde/Alma Mahler et de Ravel/ Marie Delouart, sa mère/Colette. Elle réserve son lot de fantaisie et d’images saillantes, mais il lui manque… un Nain, et des Sortilèges, pour répondre aux promesses affichées par la double programmation.
Dans le rôle du Nain, périlleux en diable par son expressivité straussienne et son omni-présence, Charles Workmann révèle une méforme criante (force aigus étranglés) voire une inadéquation stylistique fatale – outre un timbre nasal appuyé, le chant est sans legato ni cohérence, comme fabriqué à chaque son pour tenter de répondre aux exigences de la tessiture, et la soirée s’avère une épreuve pour lui comme pour le public. La mise en scène solutionne en outre le « problème » de son personnage en lui faisant manipuler une marionnette – à l’effigie de Zemlinsky –, ce qui n’aide ni l’interprète à trouver ses marques ni le public à se concentrer sur son propos.
Nicola Beller Carbone s’en donne à cœur joie dans le rôle d’une Infante femme-enfant gâtée, pécore et capricieuse. Vincent Le Texier est un Majordome impeccable et laisse affleurer une fibre burlesque sous la contrainte de son rang. Béatrice Uria-Monzon nous délivre les seuls moments de profonde émotion de la soirée, avec une Ghita humaine et maternelle à laquelle son mezzo confère une tendre profondeur. La direction de Paul Daniel exploite toutes les ressources expressionnistes de la partition, au prix parfois de la nuance ou de l’intimisme. La scénographie met l’accent sur les 18 ans de l’Infante : forêt de phalliques asperges géantes en fond, tenues affriolantes pour la princesse et ses suivantes ; les lumières (Matthew Richardson) jouent la carte de la couleur saturée, rendant d’autant plus terne et… laide la réalité que le Nain aura à affronter.
Est-ce la faute de Zemlinsky… reste que pour L’Enfant et les Sortilèges, Paul Daniel ne parvient pas à trouver la poésie irisée, translucide ou narquoise, de l’orchestre de Ravel ; les décalages s’accumulent, les chœurs seront souvent sans charme (même les Pastoureaux, même le finale au Jardin). La mise en scène perd aussi de sa vigueur et de ses couleurs : rideaux noirs ou ternes, lumières fades, le plateau semble immense et refroidissant. Les idées se succèdent en numéros désunis : tandis que la Pendule ou le Fauteuil sont traités sans surprise, l’Arithmétique joue la drag-queen, le Feu se mue en cabaret fandango, la Princesse se veut gaguesque et y perd sa poésie (dommage pour le beau chant d’Amel Brahim-Djelloul), et le Jardin multiplie les allusions à la Première Guerre mondiale – entre conte fantaisiste, lecture pop et œuvre à message, le fil se rompt plus d’une fois. Le plateau vocal est honnête sans toutefois marquer vraiment : Enfant solide (trop ?) de Gaëlle Méchaly, Feu et Rossignol un rien flous de Mélody Louledjian, on retient avant tout la Chatte-Ecureuil de Diana Axentil, le Fauteuil-Arbre de François Lis, la Tasse-Maman de Cornelia Oncioiu.
On se partage donc entre une première production assez habile mais au rôle-titre mal casté, et une seconde partie plus fade au chant correct : « du thé sans sucre, du pain… sec » dirait Maman.
C.C.Lire aussi nos éditions du Nain (L'ASO n° 186) et de L'Enfant et les Sortilèges (L'ASO n° 299).

L'Enfant et les Sortilèges, vue d'ensemble. Photo OnP/Ch. Leiber.