Paola Valentina Molinari (Venus), Natalie Pérez (Adonis), Jone Martinez (Marte), Ana Vieira Leite (Celfa), Judit Subirana (Clarin), Margherita Maria Sala (Cibeles), Los Elementos, dir. Alberto Miguélez Rouco.
Aparté (2 CD). 2023. Notice en français. Distr. Little Tribeca.
Sur la cinquantaine d’ouvrages lyriques attribués à José de Nebra (1702-1768), une demi-douzaine nous a été transmise de façon intégrale – mais de jolies découvertes sont toujours à espérer... Venus y Adonis (1729) est la dernière des zarzuelas conservées à avoir les honneurs du disque, bien qu’il s’agisse de l’une des plus anciennes. Elle se distingue de celles des années 1740 par le choix d’un acte unique et l’absence de dialogues déclamés, remplacés par des récitatifs, sur le modèle italien. L’Italie inspire aussi les airs, mais si Nebra se convertit plus tard au style napolitain, ici, c’est davantage à Vivaldi que l’on pense (rêveur « Tù, suspensa, beldad soberana ») ou, ce qui est plus étonnant, à Haendel – jusqu’à reconnaître un thème d’Ottone dans le duo « Pues al estrago » ! Nebra connaissait-il les partitions du Saxon ? La question se pose encore à l’écoute du tempétueux fugato de « Bate a la navecilla » et des syncopes d’ « En flor tu vida crezca ». Quoi qu’il en soit, on peut faire pire, comme référence…
Après un séduisant Vendado es Amor, no es ciego (Glossa, 2019), nous retrouvons l’ensemble Los Elementos et son formidable chef, claveciniste et arrangeur Alberto Miguélez Rouco (par ailleurs talentueux contre-ténor). Et la réussite est encore plus grande, au moins du point de vue orchestral ! Fort de nombreuses recherches au sein du répertoire, Rouco a complété les parties intermédiaires et celles des vents : dès la pétaradante sinfonia (arrangement d’une ouverture pour clavier), le résultat s’avère aussi ravissant qu’expressif, tant grâce à l’instrumentation que grâce à l’attention portée à la dynamique, aux nuances. À l’inverse d’autres chefs plus médiatisés, Rouco ne procède jamais à l’empilement des sonorités mais caractérise chaque affect en privilégiant un ou deux instruments. C’est très sensible dans le continuo où archiluth, clavecin, violoncelle et harpe prennent tour à tour la parole, de façon ludique, tandis que le chœur (six sopranos et deux ténors), intervenant souvent en écho, contribue à créer des atmosphères magiques. Les vingt-trois instrumentistes se révèlent aussi engagés que virtuoses : cors appelant à la chasse (« Trompas venatorias ») ou ricanant avec Mars (« Tan vano es pretender »), flûtes soupirant avec Adonis (« Ay, Venus bella »), castagnettes et percussions jouant avec les serviteurs – hilarants dans le duo « de la peur » (« Quelque chose m’a frôlé, clo, clo, clo ») et l’ « air du lapin », au syllabisme échevelé.
Côté voix, il arrive qu’on confonde les six dames (cinq sopranos, une mezzo) incarnant tous les personnages – les amants Vénus et Adonis, jalousés par Mars et Cybèle, comme le couple ancillaire. Si l’on admire le brio, la pétulance rythmique, le souci d’ornementation, on regrette parfois un chant trop couvert, à l’espagnole, moins brillant que le bel canto à l’italienne. En Adonis confronté à des pages redoutables (l’air de bravoure avec trompette « Silbo del aire »), Pérez, qui campait Vénus dans Vendado es Amor, avoue quelques limites en termes de couleurs, et on a connu Molinari plus extravertie.
Mais ce sont des peccadilles au regard de la réussite d’ensemble : un album irrésistible, qui vient compléter la superbe discographie d’un auteur attachant.
O.R.