Nicolò Balducci (Gilbert) et Adèle Charvet (Giulietta). © Ian Rice

En 2021, l’Opéra royal de Versailles avait déjà donné un aperçu, à travers un concert d’extraits (paru depuis sous son label en CD et DVD) de cet opéra disparu et mythique parce qu’associé au jeune Bonaparte qui l’avait découvert à sa création à Milan en 1796 et en avait fait son œuvre fétiche. Aujourd’hui, c’est une quasi-intégrale, à quelques reprises près, qu’en propose cette production mise en scène par Gilles Rico dans les décors néo-classiques de Roland Fontaine (toiles peintes, châssis et coulisses) avec des élégants costumes Directoire signés Christian Lacroix, situant d'emblée l'intrigue à l'époque de la création, ce qui donne au livret assez linéaire de Foppa un supplément de pertinence. Si la mise en scène se cantonne dans un premier degré assez sage, l'ensemble se fond singulièrement bien dans le cadre de la Salle Gabriel et, bien servi par les lumières de Bertrand Couderc génère de belles images qui suffisent à faire exister une intrigue sans véritable tension.

La musique de Zingarelli est assez hybride. On y entend, dans l’ouverture, dans les chœurs, dans la longue et magnifique scène du tombeau, toute en récitatif accompagné et en arioso avec le soutien du basson, l’influence très nette de la tragédie reformée, n’était dans cette dernière l’insertion de l’air de bravoure dû à Crescentini, « Ombra adorata, aspetta », que le compositeur considérait comme « la vergogna della mia opera » (la honte de mon opéra). De longs passages en récitatif sec, accompagné ici au pianoforte, des airs da capo dévolus aux personnages secondaires nous renvoient encore aux conventions de l’opera seria finissant, de même que la distribution avec ses deux ténors, Everardo, le père de Giulietta et Theobaldo, son fiancé, et les comprimari : un secondo uomo castrat (Gilberto, l'ami de Romeo) et une seconda donna, soprano léger, Mathilde, la confidente de Giulietta.

D’évidence, pour les deux protagonistes Zingarelli a écrit dans deux styles différents. À l'intention du primo uomo, le castrat Crescentini, une vocalité très sophistiquée toute en ornements et en écarts de registre et des airs beaucoup plus mélodiques, avec déjà des élans préromantiques, pour la prima donna, Giuseppina Grassini, une mezzo-soprano qui avait semble-t-il une belle extension dans l’aigu. Les deux se rencontrent toutefois dans de beaux duos. Confiés à deux voix de couleur assez proche mais de natures bien différentes, le contre-ténor au medium plutôt sec, Franco Fagioli et une voix féminine généreusement timbrée et d'une grande homogénéité, Adèle Charvet, leur rencontre crée un effet un peu étrange et quelque peu déséquilibré. Si Fagioli impressionne par la virtuosité et la puissance de ses graves, sa voix n'a sûrement pas la suavité que la légende prête au créateur du rôle, tandis qu'Adèle Charvet, d'un format nettement plus large, semble parfois absorber la voix de son partenaire. Du côté des comprimari, le ténor polonais Krystian Adam donne beaucoup de relief à son personnage de père autoritaire et intolérant tandis que la voix très centrale de Valentino Buzza fait merveille dans le grand air martial avec chœurs de Theobaldo au premier acte dont on se demande tout de même s'il n'a pas été écourté. La voix claire du contreténor Nicolò Balducci et sa parfaite articulation italienne – une qualité très inégalement répartie au sein de la distribution – se révèlent très efficientes dans le rôle omniprésent de Gilberto. Quant à Florie Valiquette, elle offre à Mathilde sa voix lumineuse aux coloratures sans faille. Le chœur entièrement masculin de l'Opéra royal, très sollicité, se révèle impeccable tant au plan vocal que scénique.

La réussite de l'ensemble doit beaucoup à la direction inspirée de Stefan Plewniak qui semble ressentir cette musique avec passion et dont le geste ample à la tête d'un orchestre d'une grande précision, tant du côté des cordes que des vents, la fait vivre jusque dans ses moments les plus conventionnels. La présence de caméras dans la salle laisse prévoir que la production pourra être vue en DVD ou sur quelque chaîne de télévision et donnant la possibilité, au plus grand nombre, de découvrir ce chaînon manquant de l'histoire de l'opéra italien.

A.C


Adèle Charvet (Giulietta) et Franco Fagioli (Roméo). © Ian Rice