Anna Caterina Antonacci (Madame de Croissy). © Fabrizio Sansoni/Teatro dell’Opera di Roma

La nouvelle production des Dialogues des Carmélites, donnée en ouverture de la saison de l’Opéra de Rome, sous la direction de son nouveau directeur musical, Michele Mariotti, constituait un événement majeur dans la vie musicale italienne. L’opéra de Poulenc n’y avait pas été donné depuis plus de trente ans. On pouvait compter sur Emma Dante pour en offrir une approche personnelle loin des clichés habituels. Illustrant les propos de Blanche, lors de sa dernière rencontre avec son frère, la metteuse en scène a choisi de faire des Carmélites de Bernanos de véritables « soldats du Christ » et les a vêtues de cuirasses et d’un casque qui leur fait déjà comme une sorte d’auréole, évoquant les saints guerriers de la peinture du quattrocento. Sa vision intemporelle cite à comparaître plusieurs époques et notamment la période révolutionnaire à travers les portraits au premier acte de femmes ayant vécu la Terreur, dans un ensemble de cadres mobiles qui serviront ensuite pour évoquer les portes des cellules, le couloir de la prison, et enfin la guillotine elle-même dont le couperet est symbolisé par la chute brutale d’une toile blanche. Dans sa vision, le martyre n’est pas un vain mot et le goût et la volonté de souffrir s’affirment à chaque nouvel épisode dans d’étranges mortifications. Les sœurs, en effet, se martyrisent en se posant sur les pieds d’énormes pierres et plusieurs d’entre elles, parmi les plus âgées, boitent. Dès le prélude, nous est présentée une descente de Croix dont le Crucifié est l’une d’entre elles ; la même image reviendra dans le dernier interlude avant la montée à l’échafaud et c’est encore l’image du Crucifié, incarné par Blanche, qui conclura le drame. Si le décor minimal évoque évidemment la clôture, il se transforme au fil des tableaux en chœur d’église ou en catacombes pour la  toilette mortuaire de la première Prieure, un moment particulièrement saisissant.

Avec cette production d’un opéra qui, rappelons-le, fut créé en Italie mais qui y est resté assez rare, Michele Mariotti faisait ses débuts dans un répertoire auquel on ne l’associe pas nécessairement. Sa direction comme toujours précise, équilibrée et puissante met en relief la modernité de la partition de Poulenc et en exalte le lyrisme tout en donnant toute sa portée au caractère néo-debussyste du rapport texte-musique. Son sens aigu du climat et de la tension dramatique est perceptible dans les interludes qui portent la montée en puissance du drame et il atteint à un rare degré d’incandescence dans le dernier avec des cuivres proprement royaux. D’une distribution assez cosmopolite et au français inégal, on retiendra d'abord Anna Caterina Antonacci parfaitement idiomatique et bouleversante dans la scène de l’agonie de la première Prieure. Avec son timbre chaleureux et une grande souplesse vocale, Ekaterina Gubanova compose une Mère Marie de l’Incarnation plus maternelle qu’autoritaire et c’est plutôt chez la seconde Prieure d’Ewa Wesin au timbre vif et plus tranchant que s’incarne l’intransigeance et la sévérité de la Règle. Emöke Barath est une Sœur Constance moins légère qu’il n’est coutume mais apporte toute la lumière voulue à ce personnage au mysticisme optimiste. En Blanche de La Force, Corinne Winters gagne en crédibilité au fil des scènes malgré un français parfois approximatif et sait transmettre le mélange d’angoisse et de volontarisme qui caractérise le personnage, avec un rien de véhémence. Excellents les rôles masculins plus épisodiques, depuis le Marquis de La Force de Jean-François Lapointe jusqu’à l'Aumônier de Krystian Adam, malgré un accent assez prononcé, en passant par le Chevalier de Bogdan Volkov, belle voix de ténor lyrique au français parfaitement articulé. Des chœurs remarquablement préparés, qui se révèlent pleinement dans les pièces chorales qui émaillent la pièce et singulièrement dans le « Salve Regina », et des seconds rôles efficaces issus du programme des « Diplomata Fabbrica » (Jeunes artistes de l'Opéra de Rome) complètent un plateau qui au final remporte un triomphe sans partage.

Alfred Caron


À lire : notre édition des Dialogues des Carmélites/L'Avant-Scène Opéra n°257

Jean-François Lapointe (Marquis de La Force) et Corinne Winters (Blanche de La Force). © Fabrizio Sansoni/Teatro dell’Opera di Roma