Jennifer Davis (Armide) et Gerard Schneider (Rinald). © Clive Barda

Le dernier opéra de Dvořák ne connaît que de rares représentations en-dehors des frontières de la République tchèque. Inspiré comme les autres Armide de la Gerusalemme liberata du Tasse, l’opéra ne peut cependant pas se prévaloir d’une dramaturgie aussi efficace que ses devanciers. Outre les problèmes liés à la composition du livret – les longueurs dues à une focalisation trop importante sur certains détails, ainsi que le caractère tortueux des machinations d’Ismen – on peut se demander si l’histoire d’Armide n’est pas anachronique par rapport aux grands sujets qui animent le tout début du XXe siècle. Car ici, orientalisme et magie ne sont pas prétextes à un quelconque décadentisme oriental, entre fantasme érotique et expérimentation musicale, Dvořák leur offre un traitement musical purement romantique. Or, à bien des égards, le sujet semble anti-romantique : la raison finit par triompher, et surtout la magie n’est pas du ressort du fantastique qui évoque les légendes, et promeut l’idéal de l’homme romantique – solitaire, en harmonie avec la nature dans une forme d’authenticité –, au contraire, l’élément magique est du ressort de merveilleux – comme une certaine forme d’initiation, d’expérience dont on tire une leçon – et de la sophistication : la magie y apparaît ainsi comme un art qui se maîtrise (Armide y est plus forte qu’Ismen), comme un raffinement de l’intelligence et non un secret à préserver. Enfin, l’amour dans le Tasse est à mille lieux de l’amour romantique, quand Renaud est décillé, il éprouve un sentiment de pitié en abandonnant Armide, mais pas de regrets. Dès lors, il y a sans cesse un hiatus entre le sujet et son traitement musical, fondamentalement romantique et symphoniste. C’est d’ailleurs ce point qui est le plus problématique : Dvořák n’écrit pas une musique d’opéra, mais déroule une fresque symphonique avec voix lyriques obligées, sans pour autant tendre vers l’oratorio.

Ces réserves émises sur la partition, nous pouvons dire tout le bien que nous avons pensé de la production présentée à Wexford, particulièrement sur le plan musical. Jennifer Davis déploie une voix ample, homogène, avec un bel ancrage dans le grave, pour incarner Armide. Elle double ces qualités vocales d’un véritable tempérament grâce auquel elle passe de l’autorité à la sensibilité avec agilité. Gerard Schneider est Rinald, sa voix sonore et brillante ne manque pas de métal, ce qui renforce l’héroïsme du personnage. Stanislav Kuflyuk campe un Ismen sombre et convainquant et Rory Dunne fait preuve d’une belle présence dans le rôle de Bohumir, roi des Francs.

La direction de Norbert Baxa est aussi théâtrale que la partition le lui permet : le chef fait attention aux chanteurs – les voix ne sont jamais couvertes, et pourtant la pâte orchestrale le permettrait facilement – et donne aussi à entendre l’architecture symphonique de la partition. Il se révèle ainsi particulièrement soigneux à l’égard du détail de l’écriture instrumentale. Il livre ainsi une lecture dynamique et construite.

La mise en scène de Hartmut Schörghofer vaut davantage pour la direction d’acteurs que pour la vision d’ensemble. La scène est divisée en deux par une paroi de verre courant de l’avant-scène à jardin jusqu’au milieu du fond de scène, qui sert à isoler les personnages ou réduire l’espace scénique. La partie enfermée par ce mur est blanche et représente une grande porte de style arabo-andalou, l’autre moitié du fond de scène est un écran où sont projetées des créations vidéo assez peu heureuses dans leur réalisation (on pense à des jeux vidéo vintage), qui représentent le palais d’Armide ou les dragons d’Ismen. La mise en scène est principalement illustrative, on peine à comprendre l’utilité de cette division scénique, mais le drame est là, lisible et intelligible.

Jules Cavalié


Jennifer Davis (Armide). © Clive Barda