Patrick Bolleire (Méphisto). © Jessica Latouche

Succédant aux mémorables spectacles montés par Robert Lepage et François Girard en coproduction avec le Met de New York, le nouveau Faust du Festival d'opéra de Québec appartient certes à une catégorie plus modeste, mais possède le précieux avantage de réunir une équipe musicale de haut niveau galvanisée par Victorien Vanoosten. Remarquable chef lyrique, ce dernier sait parfaitement soutenir les chanteurs sans jamais les couvrir, mettre en relief avec les différentes sections de l'Orchestre symphonique de Québec la richesse d'écriture de Gounod et insuffler un dynamisme exceptionnel à l'ensemble de la représentation. Sous sa direction, le bref prélude de l'acte du jardin ou celui de la scène de la chambre de Marguerite deviennent de véritables poèmes symphoniques à l'atmosphère subjuguante. Grâce à un chœur en forme superlative, la kermesse, le tableau de l'église et le retour des soldats s'avèrent particulièrement réussis. Devant pareil résultat, on ne comprend pas les raisons pouvant justifier une malencontreuse coupure dans la valse et la suppression du chœur « Déposons les armes ! » qui précède « Gloire immortelle de nos aïeux ». De même, il est dommage d'amplifier le chœur en coulisses, ce qui nuit à l'équilibre entre les masses sonores dans la scène de l'église et dans l'apothéose finale.
 
Tous francophones, les solistes apportent un soin particulier à la diction, qualité suffisamment rare pour être soulignée. Dans le rôle-titre, Thomas Bettinger se montre très inégal : capable d'une puissance étonnante et de beaux élans dramatiques, sa voix manque souvent de suavité et se détimbre complètement dans les passages en demi-teinte. Il parvient néanmoins à convaincre dans sa cavatine, où son contre-ut est bien maîtrisé. Avec son instrument délicat et la fraîcheur de son timbre très pur, Anne‑Catherine Gillet campe une Marguerite ingénue et extrêmement touchante, plus à l'aise dans la ballade du roi de Thulé que l'air des bijoux. Si l'on finit par oublier le vibrato serré, les passages exposés (comme à la fin de « Il ne revient pas ! » et dans « Anges purs, anges radieux ! ») la poussent en revanche dans ses derniers retranchements. D'un naturel confondant et ne versant jamais dans la caricature, Patrick Bolleire incarne pour sa part un Méphisto qui, non content de se rire des difficultés de la ronde du veau d'or, est réellement terrifiant à l'église. Quant au Valentin de Jérôme Boutillier, il compense amplement le peu de rondeur de sa voix par un chant racé et une longueur de souffle impressionnante. Parmi les rôles secondaires, on remarque moins le Siébel de Sarah Bissonnette et la Dame Marthe de Luce Vachon que le superbe Wagner de William Desbiens.
 
L'action de ce Faust prend place dans un dispositif scénique qui se résume essentiellement à un grand escalier situé au centre du plateau et à des panneaux translucides sur lesquels sont projetées des vidéos où dominent le rouge et le blanc. Les images suggèrent bien le jardin de Marguerite et l'intérieur de l'église ; elles ne donnent en revanche qu'une idée fort imprécise de la place publique, de la nuit de Walpurgis ou de la prison. Les chanteurs portent des costumes modernes de styles variés qui peuvent déconcerter, comme les tenues bigarrées des choristes au moment de la kermesse ou la robe vaporeuse de Marguerite. Cette dernière fait d'ailleurs son entrée en scène en descendant majestueusement l'escalier comme le ferait Cendrillon lors de son arrivée au bal du Prince Charmant... C'est là une des incongruités de la mise en scène de Jean‑Romain Vesperini, qui, en dépit de sa solide direction d'acteurs, offre des plaisirs variables. Le duo d'amour et l'ascension au paradis de Marguerite ravissent l'œil, mais l'on demeure perplexe devant l'immobilité quasi totale de la foule alors que se déchaîne la valse dionysiaque. L'air des bijoux laisse aussi une drôle d'impression : la cassette ne renferme ni joyaux ni miroir, mais une riche pèlerine dont se couvre Marguerite, avant que Méphisto ne la chausse d'élégants escarpins. Plutôt que ces aspects décontenançants, les festivaliers se souviendront d'un Faust qui fait honneur au chant français et dirigé par un jeune chef qu'il faudrait songer à réinviter de toute urgence.

Louis Bilodeau

Patrick Bolleire (Méphisto), Anne-Catherine Gillet (Marguerite) et Thomas Bettinger (Faust). © Jessica Latouche