Dmitry Korchak (le Duc de Mantoue). ©️ Elisa Haberer / Opéra National de Paris

On le sait grand, on connait sa stature imposante qui sied si bien à tant de personnages, et on en admire le charisme scénique. Ce soir on le découvre difforme : Ludovic Tézier interprète Rigoletto, le bouffon bossu, le père séquestrant sa propre fille par inquiétude et cherchant sa vengeance par désespoir. Ce n’est pourtant pas la mise en scène de Claus Guth créée en 2016 à Bastille – et pour laquelle le commentaire de Chantal Cazaux résume notre pensée mieux que nous ne saurions le faire – qui requiert un tel artifice, mais Tézier sait se revêtir de grotesque pour moquer les courtisans et amuser le duc. En revanche, dans la pénombre nocturne où il croise le Sparafucile classieux et sonore de Goderdzi Janelidze, Rigoletto se redresse pour faire face à ses inquiétudes, puis s’apaise auprès de sa fille. Tout au long de la soirée, Ludovic Tézier incarne avec une justesse constante toutes les facettes du personnage. Et son chant est idéal : « cortigiani, vil razza », dont il projette le « dannata » avec une puissance ogresque, est adressé comme une gifle aux courtisans. Caressant avec Gilda, humilié lorsqu’il quémande la pitié des aristocrates... la ligne vocale se charge de quelques sanglots, de râles et de somptueuses outrances, sans jamais verser dans la vulgarité. Tézier livre ainsi un personnage radical, et une interprétation complète qui se classe au firmament, car en l’entendant – et malgré des différences notoires – on a cru entendre Tito Gobbi (sans défaut de justesse).

La fille est digne du père. Le timbre versatile de Nadine Sierra lui permet de ne faire qu’une bouchée du rôle. Les registres médium et grave sont charnus, aux couleurs chaudes, et les aigus scintillants et faciles, dès lors les ressources du personnage sont nombreuses puisqu’elle peut colorer la ligne à sa convenance. Les duos avec Rigoletto atteignent des sommets de raffinement, jouant parfaitement du contraste entre les deux timbres, accordés par un même art du souffle.
Enfin le Duc de Dmitry Korchak est vaillant, bien timbré et puissant, et le chant est efficace, touchant aussi dans « Parmi veder le lagrime ». Il livre une prestation de haute tenue, qui ne se hisse toutefois pas au niveau de ses deux partenaires de scène.

Parmi les rôles secondaires on distinguera particulièrement la Giovanna de Cassandre Berthon, le timbre légèrement acidulé possède une véritable personnalité, la voix est ample et bien projetée. En quelques répliques la cupidité du personnage est audible et constitue un véritable apport au drame. Il en va de même pour le Monterone de Bogdan Talos, dont la malédiction fait frissonner. On savoure ces péripéties qui précipitent l'action en prenant conscience de leur importance grâce à ces interprètes. Le reste de la distribution témoigne d'une belle homogénéité, même si l'on aurait souhaité la Maddalena de Justina Gringyté plus sonore.

En fosse, Giacomo Sagripanti tient l’orchestre avec panache. S’il y a plus de théâtre que de clairs-obscurs, il sait confier à l’orchestre le soin de trouver la couleur puis reprendre la main pour animer l’ensemble et faire résonner le drame.

 

Jules Cavalié

 A lire : notre édition de Rigoletto / L'Avant-Scène Opéra n° 273



Ludovic Tézier (Rigoletto) et Nadine Sierra (Gilda).©️ Elisa Haberer / Opéra National de Paris