Rihab Chaieb (Charlotte).

Venu du répertoire belcantiste (Rossini et  Donizetti), où il a longtemps hésité entre plusieurs types d'emplois, du ténor contraltino au baryténor, Enea Scala aborde désormais les rôles spinto italiens (Verdi et Puccini), auxquels s’ajoutent quelques rôles plus lourds du répertoire français comme Arnold de Guillaume Tell et Hoffmann. Sa prise de rôle en Werther bénéficie d'une diction française remarquablement travaillée, mais pas tout à fait exempte de quelques voyelles ou diphtongues exotiques. Sa voix plutôt centrale lui permet de beaux phrasés, une recherche de nuances et une ligne de chant impeccable. Sa maîtrise d'un rôle qu'il a d'évidence fouillé dans les moindres recoins pèche toutefois dès que la partition quitte les régions purement lyriques. L'aigu reste toujours serré, émis en force. Cette dureté dans l'émission gâte un peu une première impression favorable. Elle ne lui permet pas de restituer l'exaltation du personnage dans le premier air "Ô nature" et convient mieux aux scènes dramatiques des derniers actes. Sans doute aussi plus de liberté dans l'interprétation offrirait une vision plus naturelle du personnage qui parait ici souvent sous surveillance, mais s'agissant d'un début dans un rôle écrasant on peut comprendre que le ténor s'accroche à sa partition. Face à lui,  Rihab Chaieb offre à Charlotte son beau mezzo chaleureux au grave jamais appuyé et une musicalité de tous les instants. Elle sait faire sentir l'évolution de son personnage, de la jeune fille innocente du premier acte à la jeune femme que trouble la passion de Werther et qui réprime son propre amour jusqu'à la scène finale, où il s'impose à elle dans l'angoisse d'une double culpabilité, avoir trahi son serment et poussé le jeune homme au suicide. Autour du couple central , les rôles secondaires sont incarnés avec compétence depuis le Bailli de Justin Hopkins, bien chantant et très convaincant bien qu'un peu jeune pour ce rôle paternel jusqu'à ses deux acolytes : le Schmidt de Daniel Arnaldos et le Johann de Nabil Suliman. Le soprano léger de Elsa Soster, membre du Jeune Ensemble de l'Opéra Ballet des Flandres, apporte la fraicheur de son timbre et toute la grâce voulue à la candeur de Sophie tandis qu'Ivan Thirion est un Albert très sobre dans la tendresse comme dans l'autorité et la noirceur. On reconnaît au chœur d'enfants de l'Opéra des Flandres une diction impeccable, comme du reste à l'ensemble de cette distribution. La version de concert permet d'apprécier l'orchestre symphonique de l'Opéra Ballet Vlaanderen, et la qualité de ses pupitres solistes, notamment de ses vents, très exposés, mais aussi des excellents premier violon et premier violoncelle, dans une des partitions les plus richement orchestrées de Massenet. La direction précise et engagée de la cheffe Giedre Slekyte insuffle tout l'élan nécessaire pour compenser l'absence de mise en scène et l'effectif réduit, privilégiant le dramatisme de l'œuvre sur ses aspects plus lyriques, mais sans jamais en sacrifier la poésie.

 

Alfred Caron

À lire : notre édition de Werther / L'Avant-Scène Opéra n°61










Enea Scala (Werther) et Giedre Slekyte.
Photos Tom Cornille/Opéra des Flandres.