Patrizia Ciofi (Giovanna) et Jean-François Borras (Carlo VII)


Patrizia Ciofi était attendue au tournant de cette prise de rôle. La cantatrice dont on entend clamer depuis plusieurs années le déclin vocal serait-elle à la hauteur des exigences du rôle complexe de Giovanna d’Arco qui allie les ultimes réminiscences du belcanto romantique avec les élans dramatiques du premier Verdi et de ses héroïnes exaltées ? S’il est vrai que l’extrême aigu s’est un peu amenuisé et que les aigus forte sont souvent allégés, l’intelligence de la conduite vocale, le sens du clair-obscur, la ligne d’une grande souplesse et le slancio sont toujours là. Ils lui permettent de construire, associés à une forte implication scénique, un personnage crédible dont elle fait exister par son jeu les tourments psychologiques. La mort de Giovanna en ce sens se révèle une véritable scène de transfiguration. À ses côtés, Jean-François Borras en Carlo VII paraît un peu sur la réserve, peu affirmé dans un rôle qu’il fréquente pourtant depuis 2008. Il est bien chantant, certes, et parfaitement stylé, avec ce timbre de ténor lyrique si séduisant, mais la voix manque un peu de corps et il faut attendre l’air ultime de Carlo pour qu'il donne enfin toute la mesure de ses capacités expressives. Pierre-Yves Pruvot laisse une impression mitigée dès son récitatif d’entrée avec un vibrato large qu’il peine à contrôler. Si les choses s’améliorent avec sa grande scène du deuxième acte, la longue tessiture de Giacomo l’oblige souvent à forcer ses moyens et à sacrifier la musicalité. Peu aidé de surcroît par une prononciation italienne générique, il réussit tout de même avec beaucoup de volonté à donner un certain relief à son personnage de père « abusif ». Dans le rôle épisodique de Talbot, Giovanni Furlanetto fait valoir au milieu du chœur des soldats anglais une belle basse sonore et bien timbrée.

Construite à partir d’un travail très élaboré sur la vidéo, la mise en scène de Paul-Émile Fourny hésite un peu entre évocation et représentation, passant d’effets quasiment abstraits à de véritables décors virtuels, comme dans la scène du sacre où la silhouette de la cathédrale s’ouvre pour en découvrir le chœur. Si le procédé a le mérite de donner fluidité et profondeur à l'action et permet de concrétiser la présence des voix célestes et infernales qu'entend l’héroïne, certaines images paraissent parfois un peu redondantes et inutilement illustratives. Assez statique, Covid oblige, à part dans le cas du rôle-titre qui occupe en permanence l’espace scénique, la direction d’acteurs tend vers une certaine forme d’oratorio. Toutefois, elle propose pendant l'ouverture une intéressante chorégraphie quasi programmatique montrant Giovanna incarnée par une danseuse aux prises avec ses démons. Si les costumes stylisés de Giovanna Fiorentini évitent la pure reconstitution historique, ils ne sont pas tout à fait à l’abri de tomber dans le kitsch moyenâgeux, singulièrement dans le cas de celui bien peu seyant de Carlo VII. La réussite de la production doit beaucoup à la direction de Roberto Rizzi Brignoli qui, à la tête de l'Orchestre national de Lorraine, révèle toute la richesse d'une partition peu connue, remarquablement orchestrée et d'une grande efficacité dramatique dans sa concision. Le chef se montre toujours attentif à maintenir un juste équilibre entre l'orchestre (sorti de la fosse et installé à la place des premiers rangs du parterre) et le plateau. Si les chœurs paraissent un peu « mous » en début de soirée, en raison sans doute de tempi un peu lents, très vite ils s'imposent comme le quatrième protagoniste, avec une belle homogénéité. Avec cette réalisation de qualité, l'Opéra-Théâtre de Metz offre à cet opéra de jeunesse particulièrement aimé du compositeur sa troisième version scénique en France depuis la venue de la production historique de 1951 à Paris. Il en prouve la validité et le grand intérêt musical, lui ouvrant peut-être ainsi une porte vers un retour au répertoire.


Alfred Caron

À lire : notre édition de Giovanna d'Arco : L’Avant-Scène Opéra n° 316


Photos : Luc Bertau