À ceux qui craignent de se perdre dans les méandres néo-chrétiens de Parsifal, on recommandera pour sa clarté la nouvelle production de l’Opéra du Rhin : le Roi des Chevaliers du Graal s’est fait ravir sa virginité et la Sainte-Lance dans le harem de son voisin, il lui en a coûté une plaie dont la guérison relève de la venue d’un chaste-fol… Paraît un ténor fier d’avoir fait mouche sur un cygne. Bêtise de bon augure qui lui vaut d’être convié à la cérémonie rituelle du Graal… puis de recevoir le conseil de chercher ailleurs l’oie de son cœur… L’imbécile heureux suit donc l’exemple du Roi mais, au moment de s’abandonner, change de main, saisit la lance et retourne au monastère guérir le souverain.

Il se passe, naturellement, bien d’autres choses sur scène durant ces quatre heures de musique sublime. À tel point qu’on n’y comprendrait rien si ce qui vient d’être résumé ne subsistait malgré tout. La visite d’un musée où l’usage virtuose du plateau tournant conçu par Boris Kudlicka crée l’illusion de passer de salle en salle, reste l’une des plus mémorables tentatives de faire perdre au spectateur le fil de l’histoire. Il faut donc renoncer à décrire les autres hors-d’œuvre en regrettant qu’ils ne soient pas aussi convaincants que les déclarations du metteur en scène, Amon Miyamoto : le microcosme familial renvoie au macrocosme de l’épopée ; d’où la vision initiale d’un salon et la présence récurrente d’un gamin curieux dont la mère tente de contenir la fougue. À la faveur d’une exposition sur l’évolution, il réalisera qu’il est la réincarnation de Parsifal et que l’Homme (dont l’intelligence et le pouvoir dénaturés engendrent guerres et destruction) est moins sage que le singe, symbole de la Nature, qui, comme la Vie, aspire à l’Harmonie…

Mais tout cela, dont chaque affirmation ouvre sur un abîme d’ambiguïtés, se devine si peu que, confusion pour confusion, on se reporte à l’une des mises en scène les plus extravagantes, celle de Christoph Schlingensief (Bayreuth, 2004), fascinante d’inintelligibilité et d’invention, soutenue, il est vrai, par la direction de Pierre Boulez qui, ne laissant jamais l’oreille incertaine des tenants et des aboutissants d’une partition où, pour ainsi dire, chaque élément nouveau éclaire ce qui précède tout en initiant une énigme, contribuait à la cohérence du spectacle. La captation médiocre, disponible sur youtube, ne lui rend guère justice.

Dans le cas présent où la direction des figurants est plus efficace que celle, assez convenue voire sans tensions, des chanteurs, la battue expressive de Marko Letonja semble trop souvent s’attarder sur des détails. Néanmoins, ce qu’il a obtenu de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg (à quelques flottements ou défaillances près, d’importance très relative) ne suscite que des éloges avec une attention particulière sur les solos de chaque pupitre.

L’acoustique un peu sèche de l’Opéra de Strasbourg fait ressortir des couleurs individuelles – notamment des bassons - que la fosse couverte de Bayreuth rend imperceptibles. Au point qu’on se demande (puisqu’elle est déjà néfaste aux palettes orchestrales du Vaisseau fantôme, de Tannhäuser et de Lohengrin - voire de L’Or du Rhin et de La Walkyrie) si cette couverture n’est pas susceptible de remise en cause. On peut rêver d’un matériau opaque à la lumière mais perméable aux sons.

À souligner, enfin et surtout, l’excellence d’une distribution où la jeunesse lumineuse et incisive de Thomas Blondelle (Parsifal), l’incarnation pathétique d’Amfortas par Markus Marquardt, l’autorité minérale de la basse russe Konstantin Gorny (Titurel) et la puissance mordante de Simon Bailey (Klingsor) s’affirment face aux deux rôles les plus exposés : Kundry, dont les exigences mettent à l’épreuve la résistance de l’excellente Christianne Stotijn, parfois un peu tendue, et le Gurnemanz d’Ante Jerkunica, impeccable, dont la diction peut encore, avec l’âge, gagner en éloquence et rejoindre celle, inoubliable, de Hans Hotter. Sans oublier le chœur superbe malgré l’affligeante transmission par haut-parleurs quand il se voit confiné en coulisse.

Gérard Condé

À lire : notre édition de Parsifal : L’Avant-Scène Opéra n° 213


Photos : Klara Beck