Célian d'Auvigny (Maxime Gavard) et Clarisse Dalles (Totte)


C’est toujours un plaisir de retrouver Yes !, l’opérette de Maurice Yvain dont la musique aussi élégante que spirituelle, balançant entre jazz, cabaret et pastiches classiques, se pose sur les lyrics drolatiques ou poétiques d’Albert Willemetz. Une dizaine de personnages, chacun bien troussé, pour une intrigue sentimentale et familiale folâtre où la lutte des classes pointe le bout du nez – on est en 1928.

C’est en fin de série que l’on a découvert la production des Brigands (présentée à l’Athénée jusqu’au 16 janvier), et l’on y sent l’expérience d’un esprit de troupe bien rodé. Malgré une scénographie qui joue surtout de l’accumulation d’accessoires (acte I) avant de se contenter d’un minimalisme un rien famélique (actes II et III), et une mise en scène sans ligne directrice claire, qui hésite entre intégrer ou ignorer les instruments présents sur le plateau, on marche à plein grâce au talent des musiciens réunis.

Les instrumentistes, d’abord, qui offrent ici une vision « augmentée » de la version pour deux pianos de la partition : le piano de Paul-Marie Barbier, également directeur musical, voyage du jazz au grand romantisme fougueux ; les percussions du fabuleux Thibault Perriard réveillent le décor et ouvrent l’imaginaire vers un surréalisme délicat (quelle musique peut-on faire naître d’un simple service à thé !) ; tous deux se payent le luxe d’être également guitaristes, et sont soutenus par la contrebasse inventive de Matthieu Bloch. Ajoutez à cela vibraphone, Theremin, quelques échappées de free jazz et des moments de vraie émotion saisissante, et voici un univers sonore coloré, festif, pointilliste parfois, de toute beauté et fidèle en esprit à la créativité d’un Yvain chez qui les influences contemporaines se croisaient fertilement.

Côté vocal, le plaisir premier – et général – est celui d’une diction parfaite qui rend justice à des paroles pleines d’esprit et dont l’élocution se fait souvent défi : on ne perd pas un mot, tout est chanté avec clarté – et d’ailleurs avec un talent musical partagé sans faux pas. On aurait aimé qu’une direction d’acteurs mieux orientée parvienne à relier des intentions disparates : entre la trop grande neutralité de Clarisse Dalles (Totte, chant infiniment musical et d’une très belle homogénéité dans les changements de registre) et l’outrance de Caroline Binder (presque plus gênante dans sa Loulou mal déshabillée que dans sa Clémentine-charge à l’abattage indéniable), le grand écart laisse le spectateur sans point de vue sûr, tout comme entre Gavard père (Éric Boucher, trop forcé dans son optique réaliste) et Gavard fils (Célian d’Auvigny, au contraire burlesque et halluciné à la façon d’un Palmade sous acide). Emmanuelle Goizé s’amuse en Marquita Negri mi-Yma Sumac, mi-fauve amazonien, Anne-Emmanuelle Davy confère une vraie émotion à Madame de Saint-Aiglefin, son époux étant dessiné avec un bel aplomb vocal par Gilles Bugeaud. Roger-Régor de très haute volée de Flannan Obé, et César fin mélodiste de Mathieu Dubroca, par ailleurs pince-sans-rire très juste. La mise en place est sans accroc, y compris pour des ensembles de fin d’acte pêchus. Le succès public est mérité, qui récompense un travail musical et des talents accomplis, que l’on espère suivre au gré de productions à l’imaginaire scénique plus accrocheur.

Chantal Cazaux


Photos : Michel Slomka