Créé en 2014 au Théâtre du Châtelet, Un Américain à Paris est la première adaptation du film éponyme de Vincente Minnelli (1951) en comédie musicale. Après une tournée à succès à travers le monde entier, la pièce revient sur les planches qui ont vu sa création (dans le tout nouveau théâtre rouvert en septembre après plus de deux ans de travaux) pour le plus grand plaisir du public parisien. C'est incontestablement le spectacle à ne pas manquer en cette fin d'année, une véritable féerie qui ravit aussi bien les yeux que les oreilles.

Le livret, adapté par Craig Lucas, transpose l'histoire à la sortie de la Guerre, juste après la Libération de Paris. Les dialogues sont émaillés d’humour (entre jeux de mots et piques moqueuses, mais bienveillantes, à l’égard des Français), tout en multipliant les références à la Guerre et l’occupation allemande, apportant une dimension supplémentaire à l’histoire et une épaisseur aux personnages absentes de la version cinématographique.

Dès la scène d'ouverture, le ballet étourdissant, mis en scène et chorégraphié par Christopher Wheeldon, démarre avec faste et ne prendra fin qu’après 2h30 de show. Les scènes de danse, minutieusement réglées et parfaitement exécutées, sont d'une beauté à couper le souffle. On voyage dans Paris à travers les différents tableaux : Galeries Lafayette, quai de Seine, bal costumé..., jusqu'au grand ballet final. En fond de scène, les décors de Bob Crowley sont projetés sur écran : des représentations de Paris qui s’esquissent progressivement, animées par les subtils mouvements des nuages ou de l’eau. Les éléments mobiles (panneaux, piano et autres meubles), sur roulettes, forment à eux seuls un véritable ballet et disparaissent en un clin d'œil, par quelque tour de prestidigitation, pour laisser la place aux danseurs. 

Tous les interprètes sont impeccables et prouvent une fois de plus que la comédie musicale nécessite des artistes complets, à la fois acteurs, danseurs et chanteurs. 

En haut de l’affiche, Ryan Steele est Jerry Mulligan. Fantastique danseur, il multiplie les pirouettes avec l’élégance et la grâce d’un Gene Kelly ; preuve en est l’excellente scène des Galeries Lafayette où les parapluies s’invitent dans la danse en un clin d’œil à peine déguisé à Singin’ in the Rain. Après une longue et époustouflante séquence chorégraphiée, Ryan Steele n’a d’ailleurs aucun mal à poursuivre en chanson de sa voix claire, à peine essoufflé, et sans perdre en justesse ni en puissance vocale. Par son enthousiasme et son énergie communicatifs, il se concilie immédiatement la sympathie de l’auditoire. Avec ses deux comparses, il forme un touchant trio d’amoureux transis, dont les timbres se marient à la perfection dans les chansons de groupe (« I Got Rhythm », « ‘S Wonderful », « They Can’t Take That Away From Me »). Face à la personnalité lumineuse de Jerry Mulligan, la voix sombre et chaude de Zachary Prince correspond bien à la personnalité plus cynique d’Adam Hochberg, narrateur de l’histoire et secrètement amoureux de Lise. Pianiste compositeur, davantage inspiré par le drame de la vie que par les petites joies quotidiennes, il n’hésite pas à faire de « I Got Rhythm » une musique « gloomy » qui conviendrait plus à des funérailles qu’à une scène de cabaret ! De son côté, Michael Burrell interprète un Henri Baurel naïf et maladroit, tendre empoté avec sa fiancée. Sa voix très douce et veloutée surprend presque venant d’un personnage aussi peu sûr de lui. Mais il se révèlera être en réalité un héros de guerre ayant œuvré dans la Résistance, doublé d’un formidable artiste de cabaret se découvrant dans un numéro de music-hall plein de strass, paillettes avec numéro de claquettes (« I’ll Build a Stairway to Paradise »). 

Côté féminin, on peut regretter que le rôle de Lise, interprété par Leanne Cope, ne soit pas tenu par une Française plutôt qu’une Anglaise… imitant l’accent français ! (Peut-être est-ce d’ailleurs pour cette raison qu’elle force un peu la voix dans les scènes parlées). Mais Leanne Cope, déjà présente dans la première version de 2014, campe une Lise Dassin délicieuse et délicate. Si la pièce lui offre peu de moments chantés en soliste (« The Man I Love »), elle se dévoile dans les scènes chorégraphiées où elle évolue avec grâce, et forme avec son partenaire masculin un duo tout en charme et séduction. À l’opposé de la discrète Lise, l’audacieuse et riche Milo Davenport est interprétée avec passion par Emily Ferranti, qui sait très bien rendre la personnalité complexe du personnage : sous son assurance et sa désinvolture se cache en réalité une femme sensible et sincèrement amoureuse du héros. Sa voix puissante et sensuelle se fait tantôt cajoleuse (« Shall We Dance ? ») tantôt mélancolique (« For You, For Me ») lorsqu’elle comprend que Jerry ne partagera jamais ses sentiments.

Les seconds rôles sont tous également convaincants, entre les parents d’Henri (Julia Nagle en bourgeoise un peu coincée et Scott Willis, père aimant qui finira enfin par s’imposer pour le bonheur de son fils contre la rigidité de sa femme), l’excentrique chorégraphe Mr. Z (Kyle Vaughn) et l’intransigeante Olga (Rebecca Pitcher). Dans la fosse, l’ensemble S'Marvelous composé d’une vingtaine de musiciens s'en donne à cœur joie. Sous la direction de Jesse Warkentin, cuivres et percussions sont incontestablement de la partie pour faire vivre la musique pétillante et jazzy de Gershwin.

Dans la grande tradition de la comédie musicale américaine, étourdissant tourbillon haut en couleurs, Un Américain à Paris est un spectacle d’une remarquable qualité. Porté par des artistes incroyables et complets, au son de la superbe musique de Gershwin, il transporte le public dans l’univers féérique des musicals de Broadway. On en ressort des étoiles plein les yeux et des rythmes jazzy plein la tête, fredonnant irrémédiablement « I Got Rhythm » le reste de la soirée.

Floriane Goubault

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Ryan Steele (Jerry Mulligan) et Emily Ferranti (Milo Davenport).
Photos : Cyril Moreau