C’est l’œuvre d’un jeune homme de 19 ans que la 9e édition du Jardin des Voix proposait à l’étude des sept lauréats de la « pépinière vocale » de William Christie et Paul Agnew. En effet, La finta giardiniera constitue le premier essai du jeune Mozart dans le genre de l’opéra buffa. Commandée pour le carnaval de Munich de l’hiver 1775, cette comédie reprend de nombreux lieux communs du répertoire comique traditionnel : les aristocrates se font passer pour des serviteurs pour parvenir à leurs fins, les trajectoires amoureuses s’entrechoquent et le retour à l’ordre final engendre la liesse générale. Si l’œuvre n’atteint pas les sommets des opéras ultérieurs – notamment ceux issus de la collaboration de Mozart avec Da Ponte, dont la conduite dramatique repose sur la mise en place de spectaculaires ensembles vocaux – elle révèle l’aisance du jeune compositeur salzbourgeois à manier différents registres musicaux à travers la variété des caractères. La musique passe ainsi du tragique du chevalier Ramiro à la veine comique populaire du serviteur/jardinier Roberto-Nardo, en passant par les rôles de « mezzo-carattere » (demi-caractère) qui empruntent aux deux registres. Le déroulement de l’intrigue est efficace (est-ce là un effet des coupes opérées par la direction artistique de la production ?) et ménage une jubilation quasi permanente que viennent colorer, à point nommé, des épanchements amoureux et/ou douloureux.

Les jeunes talents réunis pour cette production se hissent sans peine à la hauteur des exigences vocales et dramatiques de cette folle journée. Un sentiment de complicité évidente émane de ce plateau équilibré : un puissant investissement vocal et dramatique collectif caractérise cette représentation. C’est sans doute cette rigueur féconde et joyeuse, élaborée lors des répétitions à Thiré dans le domaine de Christie, qui contribue, en plus des qualités individuelles de chaque protagoniste, au succès de la soirée.

L’action se déroule chez Don Anchise, qui trouve en Rory Carver un comédien de premier ordre pour incarner le vieux podestat amoureux et néanmoins philosophe. Le ténor britannique donne vie, en soignant à la perfection son italien et sa présence scénique désopilante, à un rôle qui lui laisse peu d’occasions de faire valoir sa voix. Celle-ci se révèle néanmoins avec facilité dans les ensembles où apparaît alors un timbre clair et bien projeté.

Seul amoureux à ne pas être comblé à la fin de l’ouvrage, Don Anchise est épris de Sandrina, la fausse jardinière dissimulant sa véritable identité de Marquise Violante Onesti. La soprano Mariasole Mainini incarne l’audacieuse jeune femme décidée à retrouver son ancien amant qui tenta de la poignarder dans un accès de jalousie. Dotée d’une voix ample et d’un timbre chaleureux et séduisant, la jeune soprano italienne vocalise avec élégance et facilité. Elle interprète avec autant d’aisance les épisodes tragiques et comiques que lui réserve son rôle et demeure touchante en toute situation.

En arrivant dans la demeure de Don Anchise, Sandrina bouscule la quiétude amoureuse de Serpetta, la servante du maître des lieux pour laquelle il éprouvait des sentiments. Lauren Lodge-Campbell campe cette servante avec un certain piquant même si l’on souhaiterait un peu moins de prudence vocale, car la voix est belle et l’émission facile. Serpetta trouve en Roberto/Nardo un successeur aux assiduités du podestat. Sreten Manojlovic endosse avec facilité les habits du serviteur de la tradition des basso buffo, et sa voix puissante fait résonner ce faux jardinier amoureux avec humour et efficacité. Si Roberto (le serviteur) accepte d’être un temps Nardo (le jardinier), c’est pour aider sa maîtresse la Marquise Onesti à retrouver son ancien amant le contino Belfiore, venu chez le podestat pour en séduire la nièce. Le ténor allemand Moritz Kallenberg coule le métal de sa voix puissante dans les traits de l’aristocrate-séducteur.

Arminda, la nièce du podestat, est séduite par ce bel aristocrate, si bien qu’elle est outragée lorsqu’elle le surprend échangeant des propos amoureux avec celle qu’elle croit être la jardinière de son oncle. Cette variété d’affects et de sentiments est transmise avec facilité par Déborah Cachet ; elle déploie une voix large, au timbre singulier et conquérant, mise au service d’un chant racé et noble. Enfin le chevalier Ramiro, délaissé par Arminda, finit par la retrouver lorsque celle-ci décide de privilégier la constance à l’éblouissement d’un instant. Le jeune Théo Imart relève sans encombre le défi de chanter un rôle initialement écrit pour soprano castrato, et depuis interprété par des mezzo-sopranos. Le choix audacieux de Sophie Daneman, William Christie et Paul Agnew, de confier ce rôle à un sopraniste, se révèle à la hauteur de l’enjeu. En effet, le jeune contre-ténor assume sans difficulté les vocalises complexes qui sont réservées à son personnage exclusivement tragique. En outre, aux graves solides répondent des aigus radieux émis avec insolence. Ainsi, le timbre pur de Théo Imart renforce le caractère d’aristocrate vertueux de Ramiro. Parmi ce plateau vocal homogène de haut niveau, nous retiendrons les prestations particulièrement brillantes de Mariasole Mainini, Déborah Cachet et Théo Imart.

Sophie Daneman signe une mise en scène virtuose qui tire parti des contraintes spatiales de la Salle des concerts et sert la fièvre enthousiasmante de cette comédie. Quelques accessoires évoquent l’univers d’un jardin fleuri, et les habiles jeux de lumières installent avec simplicité les situations d’intimité ou d’emballement général. On salue aussi le travail de Paul Agnew qui a préparé les chanteurs lors des répétitions estivales : la qualité de la prononciation et de la prosodie italienne rend possible la dimension théâtrale et comique de l’œuvre.

C’est un William Christie juvénile qui emmène les forces orchestrales des Arts Florissants, semblant particulièrement heureuses de soutenir ces jeunes talents éclos et déjà en floraison.

Jules Cavalié

À lire : notre édition de La finta giardiniera : L’Avant-Scène Opéra n° 195


Photos : Juliette Le Maoult