En provenance d’Islande, où elle a été présentée en mars dernier, la Traviata qui ouvre la saison 2019-2020 de l’Opéra de Québec se déroule dans un décor unique de Simon Guilbault qui, en un savant mélange des formes et des motifs, tient à la fois de l’Art nouveau et de l’Art déco. Côté jardin, une immense ruche stylisée descendant des cintres est associée à l’univers de Violetta : centre névralgique de la maison des plaisirs où officie la jeune femme, ce baldaquin démesuré abrite au deuxième acte une piscine où se baigne Alfredo, puis devient l’alcôve où se meurt l’héroïne au dernier tableau. Du côté cour, portes et escalier s’insèrent dans une sorte de pan de mur aux gigantesques motifs végétaux. De superbes éclairages permettent de créer des atmosphères dans l’ensemble très réussies. De même que la scénographie, les costumes n’appartiennent pas à une seule époque, puisque certains personnages, comme Germont ou le baron Douphol, sont vêtus à la mode du début XXe siècle, alors que Violetta, Alfredo et la majeure partie des autres rôles portent des vêtements nettement plus modernes. Victimes de la morale hypocrite d’une société machiste, les femmes concourent à attiser le désir des hommes par des tenues aguichantes, telle Violetta qui porte chez Flora une longue robe noire et vaporeuse laissant clairement voir le galbe de ses jambes. Le metteur en scène Oriol Tomas joue à fond cette carte de la séduction explicite, comme le montre la substitution par une jarretière du fameux camélia que Violetta remet à Alfredo pour lui signifier son intérêt. Efficace et soignée, la direction d’acteurs nous réserve une belle surprise au cours de la fête chez Flora, lorsque le figurant personnifiant le taureau abattu par les faux matadors enlève son masque et se révèle être… Alfredo.

La Violetta de Marianne Fiset possède plusieurs des qualités que l’on attend d’un rôle particulièrement exigeant : sensibilité à fleur de peau, beauté du timbre, force expressive, jeu touchant. Parmi les moments forts de son interprétation, on retient un « Ah fors'è lui » délicatement ciselé, un « Dite alla giovine » à peine susurré et un troisième acte admirable de bout en bout. Seule ombre au tableau, un « Sempre libera » bien ardu, à l’agilité insuffisante et aux aigus enlevés à l’arraché. Jeune ténor en début de carrière, Rocco Rupolo est un Alfredo touchant, au timbre encore un peu vert et au jeu manquant d'assurance. La quinte aiguë est pour l’instant son talon d’Achille et sans doute était-ce un peu prématuré de lui confier ce rôle, en dépit de la qualité intrinsèque de sa voix. Habitué de la scène québécoise, Gregory Dahl campe un Germont aux moyens somptueux, qui nous rappelle, deux ans après son inoubliable Rigoletto de 2017, ses affinités évidentes avec Verdi. Dans les rôles secondaires, on retient principalement le baron Douphol de Max van Wyck et le marquis d’Obigny de Dominic Veilleux, deux barytons qui se distinguent par l’élégance de leur phrasé musical et leur aisance scénique. Dans une belle forme, le chœur de l’Opéra de Québec a fort à faire dans une mise en scène qui les fait participer pleinement à l’action. Sous la direction de Pedro Halffter Caro, l’Orchestre symphonique de Québec se coule avec bonheur dans la partition de Verdi et propose une lecture déchirante du prélude du troisième acte. Si le chef devrait davantage mettre la sourdine dans les pages entre le « Libiamo » et « Un dì, felice, eterea », il se révèle par ailleurs un excellent accompagnateur. Souhaitons que ce musicien retrouve bientôt le chemin de l’Opéra de Québec afin de poursuivre une collaboration si bellement entamée.

 

Louis Bilodeau

À lire : notre édition de La Traviata : L’Avant-Scène Opéra n° 51


Rocco Rupolo (Alfredo) et Marianne Fiset (Violetta)
Photos : Louise Leblanc