L'Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de Kirill Petrenko
Photo : Marco Borrelli

Voici désormais Kirill Petrenko maître à bord des Berliner, comme on les appelle familièrement. Le chef d’opéra devient chef symphonique, avec un répertoire que l’infatigable travailleur constitue peu à peu. Sur quelles voies conduira-t-il l’orchestre ? L’affiche de ses deux concerts salzbourgeois témoignent d’un attachement à la grande tradition - Beethoven et Tchaïkovski – mais aussi d’une ouverture sur ce qui fut en son temps une révolution – l’École de Vienne à travers Berg et Schoenberg. Et d’un goût du non-conformisme.

Le premier concert associait la Suite Lulu et la Neuvième du maître de Bonn. Berg surprend aussitôt par la générosité sensuelle de la direction, quasi straussienne, viennoise. Voici Lulu flirtant avec Le Chevalier à la rose. Petrenko ose aussi un lyrisme brûlant, qui embrase l’Adagio final, dont les baguettes plus « modernes » se montrent volontiers avares. Ne frappe pas moins la clarté chambriste de l’approche : il dépouille la masse sonore de toute verticalité et la transforme en un subtil entrelacs de lignes superposées. Une Suite ? Plutôt un opéra en miniature, où Marlis Petersen chante le Lied, plus convaincante en Lulu qu’en Salomé à Munich.  

Petrenko est-il un Janus de la musique ? Rien ne laissait prévoir ce que serait ensuite la célébrissime Neuvième, à l’exact opposé de Lulu. Rapidité des tempos, refus de l’épanchement, le torrent de lave emporte tout sur son passage, avec parfois des accents d’apocalypse – puissance déchaînée des percussions. Le travail de renouvellement sur l’articulation, la dynamique et les couleurs tourne le dos à toute une tradition, les phrases sont décomposées, fragmentées et non plus annexées à une sorte de mélodie infinie au legato séducteur. Il y a ici une radicalité qui fait penser à Harnoncourt. Comme dans Lulu, en revanche, l’approche est très polyphonique, d’une précision millimétrée : les lignes de l’Allegro initial sont totalement mises à nu. Petrenko ne veille pas moins à la cohérence de la forme, notamment dans un final très construit, jusqu’à la coda, aussi éblouissante que tenue. Rien de tout cela ne serait possible sans la virtuosité des Berlinois – formidable Scherzo, jamais compromis par le tempo. Si le chœur sort vainqueur de l’épreuve, les solistes se situent moins haut, avec une Marlis Petersen et un Benjamin Bruns qui assurent, une Elisabeth Kulman peu audible et un Kwangchul Youn grisonnant et trémulant.

Les fervents de Karajan ont dû prendre un coup sur la tête. Mais Salzbourg, trente ans après la mort du maître, en a vu d’autres, son public s’est renouvelé. Et le grand Festspielhaus s’est aussitôt levé, comme un seul homme, conquis par cette singulière et fascinante Neuvième.

Didier van Moere


Kirill Petrenko et Marlis Petersen
Photo : Stephan Rabold